lundi 30 novembre 2009

Cindy Manche au soleil - Chapitre 11 : La porte de l'angoisse

Si vous n'avez pas lu les épisodes précédents, découvrez les dans la colonne de droite

A 13 h, sur l'ensemble des chaînes de télévision du pays, le visage d'Eva Kanss apparut. Les téléspectateurs se rapprochèrent de leurs écrans tant ce beau visage était inhabituel. Et ce qu'ils entendirent les étonna. Aux journalistes qui lui demandaient si elle était choquée par le fait que le Président de sa Société ne se montre que lors d'annonces de plan de sauvegarde de l'emploi..., elle osait répondre : « Pas plus que ça, les patrons agissent tous ainsi. ». Et alors que certains rebelles allaient avoir l'idée de penser qu'elle n'avait pas tort, le commentateur enchaînait sur les images du corps de Bernard Cèlement : « Devant de telles réactions injustes et injustifiés, peut-on aujourd'hui s'étonner que les Présidents, héros modernes, mettent fin à leurs jours en passant par la fenêtre de leurs bureaux. Aujourd'hui, d'après de nombreux témoignages de conseillers, on peut affirmer que les Présidents de toutes les sociétés, pourtant garants de la vitalité de nos économies et donc de nos pays et pour ainsi dire de nos vies, se sentent en danger, sans cesse critiqués par des collaborateurs, inconscients de leur chance d'avoir un poste rémunéré. Il est temps d'agir, de défendre des individus menacés... »

C'était peut-être un hasard, mais La Société partageait certains de ses actionnaires avec quelques groupes de presse.

Tandis que ses propos soulevaient des réactions et des débats, Eva Kanss se fondait dans la masse des employés de La Société enroulés dans leurs couvertures de survie publicitaires. Personne n'avait conscience que les hélicos qui ronronnaient au-dessus de leurs têtes étaient remplis de reporters armés de caméras captant le moindre de leurs mouvements pour le retransmettre sur les chaînes d'infos en continue.

La machine médiatique était en marche et tout semblait rouler. A l'étage 6 et demi, Philippe Odevain se frottait les mains en suivant en direct sur son Blakberry l'évolution de son plan. Il leva la tête en entendant Hervé Yograin sortir de l'ascenseur. Un peu courbé, car cet entresol secret était bas de plafond, le chef de la sécurité s'avança vers lui en souriant.

« Qu'il profite de ce moment... Qu'espère-t-il ? Une promotion ? C'est fou comme l'être humain peut être naïf », songea Odevain, en le voyant venir vers lui.

« Votre plan fonctionne merveilleusement bien, fit Yograin en tapant sur l'épaule d'Odevain et je suis flatté et ravi d'avoir contribué à ce succès. »

Odevain fut choqué par le geste amical et les propos déplacés de son interlocuteur : comment cette vermine osait-elle le toucher et s'approprier son travail ? Il était le seul penseur de cette stratégie, le seul vrai acteur aussi. Il tirait les ficelles et les autres n'étaient que des pantins. Cette pourriture méritait bien ce qui allait lui arriver. Il montra ses dents dans une grimace qui se voulait rassurante.

« Allons célébrer ça dans mon bureau », proposa-t-il à Yograin.

Il l'entraîna ainsi dans un dédale de couloirs percés de portes. En suivant celui qu'il considérait à présent comme son Pygmalion, Hervé Yograin s'interrogeait sur ce lieu. Que trouvait-on derrière ces portes ? Il osa poser la question à Philippe Odevain. Celui-ci se retourna et éclata de rire : « Et moi qui pensais que vous saviez tout de La Société ! Vous ignorez donc ce qui se trame à cet étage ? Il y a donc des choses qui vous échappent encore... »

Hervé Yograin serra les lèvres. Il ne voulait pas passer pour un minable aux yeux du conseiller de l'ombre. Il imagina très vite une réponse justifiant sa naïve question : « J'ai la clé de cet étage. Et je suis l'un des rares employés de La Société à la posséder. Mais il est vrai que mon emploi du temps ne m'a jamais permis de venir ici. Je suis trop occupé pour m'éparpiller. Et du coup, certains éléments m'échappent... » Il était plutôt satisfait de sa justification. Il s'y présentait comme un initié tout en expliquant que la charge de travail était énorme. Oui, il avait assuré.

Philippe Odevain ne semblait pourtant pas convaincu. Il arborait toujours cette espèce de rictus inquiétant qui aurait pu ressembler à un sourire mais avait quelque chose de mauvais. Hervé Yograin avait l'habitude de se méfier de tout le monde mais là, à cet instant, il voulait croire en son destin, en la reconnaissance humaine. Il voulait foncer les yeux fermés.

A quelques mètres des deux hommes, Hector Boayeau se jetait sur la petite porte de la cage d'escalier. Plié en deux, il avait couru le coude droit en avant et avait réussi à légèrement déboîter la charnière. Il poussa un petit cri de douleur lors du choc. Cindy eut pitié de ce qu'elle avait fait faire à cet homme pas tout à fait en forme. Elle s'approcha de lui et inspecta son avant-bras. Il commençait à devenir bleu. Elle fut si désolée que sans y réfléchir vraiment à son geste, elle posa ses lèvres sur la peau violacée et l'embrassa doucement. Pour Hector Boayeau, ce baiser fut une décharge électrique : sa tête s'emplit de mille étoiles, son cerveau oublia toute souffrance, ses neurones furent secoués dans tous les sens, il perdit presque connaissance. Et soudain, il sentit qu'il était amoureux. Puis, dès qu'il eut vraiment conscience de cette situation, son coeur se serra. Il était incapable de satisfaire sexuellement les femmes de pouvoir. Et il avait découvert quelques minutes plus tôt que Cindy Manche en était une...

Tandis qu'Hector gérait intérieurement ses problèmes de virilité, Cindy réalisait qu'elle n'avait pas détesté embrasser le bras de cet homme. Il était doux et elle aimait bien ça. Elle songea que s'ils sortaient sains et saufs de cette tour, ils pourraient peut-être envisager une partie de jambes en l'air. Mais, ils n'en étaient pas là. Avant toute chose, il fallait qu'ils ouvrent cette porte. Et Hector n'était pas en mesure de se lancer dans un nouvel assaut. Pour se rebooster un brin, Cindy compta à toute vitesse une trentaine de pellicules sur les épaules de son compagnon d'infortune. Sa numération achevée, elle se sentit totalement requinquée et se félicita encore une fois de l'efficacité de sa méthode. Puis, elle appuya fortement ses paumes sur la porte, recula de quelques pas et poussa de toutes ses forces.

« Pour qui vous prenez-vous? Vous n'êtes qu'un pion comme les autres. Et le pion n'est rien sans le joueur. Qui est le joueur ? Je suis le joueur, le seul, l'unique. Et la partie est finie. Elle ne m'amuse plus. Essayez de bouger, le pion ! Vous voyez, vous n'y arrivez pas. Si je ne vous pousse pas, si je ne vous dirige pas Yograin, vous n'êtes rien. Game Over ! », hurla Philippe Odevain à l'oreille d'Hervé Yograin. Ce dernier fut paralysé par ce terrible cri. Et pourtant, son cerveau continuait à fonctionner à toute allure. Il réalisa qu'il avait dans la poche une petite bombe lacrymogène... Il réussit, malgré sa terreur et sa surprise, à glisser sa main jusqu'au flacon... Et d'un geste efficace, il le sortit et vaporisa l'intégralité du contenu dans les yeux de son adversaire.

Cindy entendit un craquement. La porte cédait enfin. Elle fit un dernier effort et elle fut brusquement projetée dans le couloir. Elle se releva d'un bond, en entendant un terrible cri. Il fallait faire vite. Que se passait-il donc dans cet entresol ? Elle fonça tout droit, suivie de près par Hector amoureux mais impuissant. Intriguée par l'enfilade de portes qui bordaient le couloir, elle posa son oreille contre l'une des cloisons. Pas un souffle, pas un bruit. En revanche, elle entendait du mouvement plus loin. Ils poursuivirent leur chemin à toute allure sans savoir ce qui les attendait au bout du couloir.

Nasser Virlasoupeux était satisfait. Il avait rempli la mission confiée par Adam Longh. Le réfectoire avait été transformé sous ses ordres en lieu de recueillement pour les employés. Il s'inquiétait un peu car depuis quelques heures, il n'arrivait plus à joindre son patron. En cuistot-espion très entraîné, il avait appris que quand la hiérarchie ne répond plus, c'est que quelque chose cloche. Il essayait de ne pas trop penser à d'éventuels problèmes en se concentrant sur sa réussite majeure : l'autel qui recevrait le corps de Bernard Cèlement installé dans l'endroit le plus central, en lieu et place de l'habituel bar à salades. Il avait également fait venir à l'entrée de la cantine une superbe pointeuse mobile dernier cri, grâce à laquelle la direction pourrait vérifier que tous les employés étaient venus faire amende honorable devant le cadavre raplapla de feu leur Président, mort par leur faute.

Là-haut au 13e étage, précisément 6 étages et demi au dessus de l'étage six et demi, Adam Longh baignait dans un énorme nuage de fumée grise. Il tentait de venir à bout de son gros cigare sous les regards attentifs de tous les membres du Conseil d'Administration. C'est alors que le pis se produit. Il sentit, dans le fond de sa gorge les premiers picotements. Comme les pattes d'une petite armée de fourmis remontant le long de son gosier. Il tenta de maîtriser cette sensation. Ce n'était rien. Il lui suffisait de se concentrer sur les feuilles se consumant lentement et tout irait bien. Mais les pattes de fourmis étaient en train de se transformer en pinces de crabes... Il reprit son souffle entre deux bouffées espérant enrayer les gratouillis mais l'afflux d'air dans sa gorge accentua son malaise. Il allait se racler le gosier.

Essoufflés, Cindy et Hector, empruntèrent un dernier virage et tombèrent sur Hervé Yograin à cheval sur un homme inconnu, en train de lui vaporiser dans les yeux ce qui ressemblait fort à du gaz lacrymogène.

Cindy n'en revenait, ce sale type était encore en train de frapper. Quant à Hector Boayeau, il reconnut immédiatement le chef du service sécurité, l'individu qui avait brisé sa vie en le licenciant. Il sentit la haine monter en lui. Il se jeta sur Yograin, saisit ses poignets, les tira dans son dos et le maintint ainsi.

Cindy fixa Yograin : « Décidément, ce n'est pas votre jour. Non seulement, vous n'avez pas réussi à vous débarrasser de moi mais en plus, nous allons sauver une autre de vos victimes. Et vous savez quoi, je ne sais même pas si je vais vous laisser ressortir vivant de ce drôle d'étage intermédiaire.

Yograin avait vraiment la guigne. Un ancien employé licencié abusivement et qu'il croyait sous contrôle dans le local poubelles prêt à servir de coupable dans une affaire de meurtre l'avait totalement immobilisé. Une assistante un peu trop futée qu'il pensait disparue le menaçait de mort. Son bourreau, le terrible Philippe Odevain, allait s'en sortir. Et lui ne pouvait même pas parler car le gaz qu'il avait respiré en le balançant dans les yeux de son adversaire lui avait tellement irrité la bouche qu'aucun son ne pouvait plus en sortir.

« Pauvre homme, soupira Cindy en se penchant sur Odevain. N'ayez plus peur, nous allons vous aider. » Elle extirpa de sa poche le sexe sectionné, le sortit de son mouchoir : il était bien mal en point. Complètement noir à présent, il était aussi très plat et puait fortement. Elle le posa à côté d'elle et utilisa le mouchoir -le seul qu'elle avait sous la main, mais à la guerre comme à la guerre- pour essuyer les yeux de la victime.

Philippe Odevain va-t-il être reconnaissant à Cindy et Hector de l'avoir sauvé des griffes de Yograin ?

Est-ce qu'un raclement de gorge est équivalent à une toux aux yeux du Conseil d'Administration ?

Cindy Manche va-t-elle oublier le pénis sectionné au milieu du couloir ?

Que cachent les portes en enfilade de l'étage 6 et demi ?

Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Roman-feuilleton du Lundi

2 commentaires:

  1. Bravo pour ce feuilleton que je suis assidument depuis quelques semaines. Bien écrit, loufoque, sans prétention, mais très subtil en fait. Surtout continuez !

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  2. Merci, quel plaisir de lire ces mots. Cela donne de l'énergie pour continuer l'écriture de ces aventures. Merci encore.

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