lundi 21 décembre 2009

Roman Cindy Manche au soleil - chapitre 14 : Cris et châtiments

Si vous n'avez pas lu les épisodes précédents, découvrez les dans la colonne de droite

Cindy scruta le triste moustachu. Ses épaules étaient couvertes de pellicules et elle ne put s’empêcher de les compter activement. Pendant ce temps, le moustachu était devenu rouge. Il se frottait les mains avec angoisse.

« Que me voulez-vous », finit-il par articuler avec difficulté.

Cindy interrompit sa numération en constatant combien l’individu était inquiet : « Pas de panique, mon ami ! Je ne savais même pas qu’il y avait quelqu’un derrière cette porte. Je ne peux pas, là maintenant, me lancer dans le résumé des aventures qui m’ont conduite à cet étage mais je peux juste vous certifier que je ne vous veux aucun mal. Ne prenez pas peur : je suis accompagnée et je vais appeler mes compères. Hector ! », hurla-t-elle.

Hector rappliqua illico. Il poussait devant lui Hervé Yograin, histoire que le gredin ne s’échappe pas. Tous les deux restèrent cois devant le monsieur rougeaud. Pour des raisons différentes…

Yograin n’avait jamais soupçonné une vie derrière ces portes. Pourquoi n’était-il pas au courant ?

Boayeau, lui, connaissait parfaitement le moustachu : « Henry, mais que fais-tu là ? Je croyais que tu avais quitté La Société ? Je vous présente Henry Nutile. Nous nous sommes connus ici il y a de nombreuses années. Henry était au service relations fournisseurs. Nous avions sympathisé à la cantine. Et puis, plus rien… Henry a disparu avant que je sois licencié et j’ai toujours pensé qu’il était parti vers des horizons meilleurs. Mais que fais-tu là ? »

Henry se frotta les mains encore plus fort, il était visiblement terriblement gêné.

Il réussit cependant à articuler quelques mots devant la surprise et l’insistance d’Hector : « Non, non, je ne suis jamais parti. On m’a mis là, c’est tout. »

« Mais qu’est-ce que c’est que cet endroit à peine salubre ?», interrogea alors Cindy.

Les employés étaient maintenant au complet dans le réfectoire. Ils avaient été massés au plus près du corps disposé sur son bar à salades. Nasser Virlasoupeux trépignait : il ne pouvait pas commencer la cérémonie sans les officiels. Il fut soulager quand il reçut enfin un sms d’Adam Long : « J’arrive ». Il prit donc le gros porte-voix mis à sa disposition et lança à la foule : « Mes amis, nous sommes tous rassemblés ici pour rendre un dernier hommage à notre Président Bernard Cèlement, mort pour la défense de la croissance économique. Nous sommes là aussi pour expier nos mauvaises pensées, celles qui nous ont poussés, parfois, à lui vouloir du mal et à lui manquer de respect. Avant de débuter la cérémonie, je vous demanderai encore un peu de patience. Nous attendons que les membres les plus hauts placés de la direction nous rejoignent. Leurs emplois du temps chargés ne leur ont pas permis de venir plus tôt ».

« Parce que nous, on n’a rien à foutre », marmonna Eva Kanss.

En raison de l’écho particulièrement puissant dans cette salle close recouverte de carrelage, les mots d’Eva Kanss arrivèrent dans l’oreille gauche de Virlasoupeux et de bien d’autres salariés.

« J’ai entendu quelqu’un se plaindre », hurla Virlasoupeux qui trouvait quand même très déplacé qu’un salarié lambda se plaigne et surtout ose marmonner.

Eva Kanss baissa la tête espérant ne pas être remarquée… Mais ses voisins se tournèrent avec virulence vers elle. Ils ne lui en voulaient pas : elle venait de dire tout haut ce que tous n’osaient formuler. D’ailleurs, ils trouvaient tous qu’elle en avait ! Eux n’étaient même pas sûrs de prendre son parti. Ils restèrent bouches closes.

Virlasoupeux exaspéré réitéra son appel : « J’ai entendu quelqu’un se plaindre. Pour le bon fonctionnement de l’organisation, je souhaiterais que cette personne se manifeste. Il n’y a rien de pire que cet anonymat. Si vous avez des choses à dire, dites les. Et que l’on n’en parle plus ! »

Cela sentait terriblement l’urine dans la petite pièce sordide. Et il y faisait très sombre. Henry Nutile regarda sa montre : « C’est normalement l’heure de ma pause déjeuner. Puis-je sortir ma gamelle ? J’aime bien manger à heure fixe, cela m’aide à donner un rythme à mes journées. »

« Mais que faites-vous le reste du temps ? », interrogea Cindy.

Henry se pinça les lèvres…

« Mais réponds bougre d’idiot !», fit Hector.

« Rien », souffla timidement Henry.

« Rien ? » firent en chœur Manche, Yograin et Boayeau.

« Absolument rien » , précisa le moustachu qui avait pris un peu d’assurance devant la mine ahurie de ses visiteurs.

« Mais alors que faites-vous là ? », chantèrent ensemble les trois salariés.

« C'est une longue histoire... Mais je suis au secret et je n'ai absolument pas le droit de m'exprimer sur ce sujet », répondit Henry.

C'en était trop pour Hervé Yograin. La moutarde lui avait déjà totalement envahi le nez. Mince alors, il avait des obsèques à célébrer, une carrière de chef de la sécurité et plus à mener tambour battant, une vengeance contre un conseiller de l'ombre à mettre en place et maintenant, ce mystère du moustachu à percer, tout cela avec un timing très serré. Oui, il n'y avait pas de temps à perdre. Alors dans un rugissement digne des lions les plus majestueux, il repoussa Hector Boayeau et reprit sa liberté.

Lucie Ferre était coincée dans la foule des employés de la Société. Elle était toujours entourée d'Amélie Berthé et d’Eva Kanss. Elle avait d'ailleurs clairement entendu cette dernière murmurer son insatisfaction. Elle s'était demandé s'il fallait la dénoncer. Mais, elle n'avait pas osé. Il y avait trop de monde autour d'elle. Son truc, c'était la discrétion, voire l'invisibilité. C'était toujours ainsi qu'elle avait agi. Personne dans La Société n'avait jamais rien su de sa vie privée. Même à la mort de son mari -certes tout à fait préméditée- elle n'avait pas moufté. Elle avait posé quelques jours de vacances et personne ne s'était douté de rien. C'était la même histoire avec Armand Bitieux. Quand le directeur du service comptabilité lui avait fait des propositions indécentes, elle n'en avait soufflé mot à personne. Et quand elle avait cédé à ses avances parce qu'elle se sentait un peu seule, un brin désemparée et surtout qu'elle voulait sauver sa place, personne dans l'openspace ou ailleurs n'avait pu s'en apercevoir. « Ni vue, ni connue », telle était sa devise pour s'en sortir au mieux. Et, elle l'avait suivi jusqu'au bout : elle n'avait même jamais avoué à Armand Bitieux -alors qu'il l'astiquait depuis des semaines sur le capot de sa jeep Cherokee au deuxième sous-sol et que finalement, malgré des débuts imposés, elle trouvait cette liaison plutôt agréable- qu’elle était même tombée amoureuse de lui.

Adam Longh se prit la tête dans les mains. Il avait beau être le nouveau Président, se sentir au-dessus de tout, dominer La Société et avoir des centaines d'employés dans les paumes de ses mains, il ne trouvait aucune idée pour éradiquer le fléau des employées indisciplinées. Eva Kanss et Cindy Manche étaient, chacune dans leur genre, deux sacrés problèmes insolvables. Il se dit que le meilleur moyen de trouver une idée pour éradiquer ces maux était d'aller se recueillir au réfectoire. D'ailleurs, il n'avait pas vraiment le choix : Nasser Virlasoupeux lui adressait des messages pressants. La foule était en place, il y avait même une brise de rébellion qui soufflait sur la cantine. Il fallait qu'il se dépêche. Il se leva et sortit du bureau présidentiel.

Alors qu'il claquait la porte, il entendit des voix sortant des conduits d'aération. Il s'approcha de la bouche grillagée au niveau du sol et il perçut distinctement des bruits de bagarres, des cris et un timbre qu'il identifia immédiatement comme celui de Cindy Manche.

Philippe Odevain avait finalement, pour plus de discrétion, choisi de ramper un peu à l'aveuglette sur la moquette usée et puante de l'étage 6 et demi. Malgré les soins que lui avait prodigués la fille au sublime postérieur, il n'avait pas totalement recouvré l'usage de la vue. Tout lui semblait flou. Il se déplaçait à plat ventre et à tâtons, veillant surtout à ne pas franchir l'une de ses maudites portes de placards. Il avait eu son compte pour la journée et il n'avait aucune envie de tomber nez à nez -quoi que, son état et sa position reptilienne ne le mirent plutôt dans la situation d'une rencontre pied à bouche- avec l'un de ces sinistres individus puants la pisse et les journées sans fin... Mais Philippe Odevain avait de la chance et il le savait. Il avait tout de même réussi à échapper à Hervé Yograin et sa bombe de gaz lacrymogène et, surtout, aux deux coupeurs de queues qui l'avaient capturé. Il savait donc qu'il allait pouvoir s'en sortir.

Est-ce cette pensée positive qui le guida vers ce vieux conduit de pneumatique ou tout simplement le hasard... Mais quand, il vit ou plutôt devina le gros tuyau qui avait autrefois servi à balancer colis et courriers, il sût qu'il était sauvé. Il allait sauter dans le conduit et se laisser glisser comme sur un toboggan jusqu'au rez-de-chaussée. Il pourrait ensuite rejoindre la cantine, assister -à défaut de voir- aux obsèques de Bernard Cèlement. Et sa vie de conseiller de l'ombre reprendrait comme avant.

Un peu plus loin, Cindy et Hector avaient complètement oublié Philippe Odevain. Leur urgence était maintenant de maîtriser Hervé Yograin qui tentait d'étrangler le pauvre Henry Nutile en lui hurlant de s'expliquer au plus vite, qu'il était pressé, qu’il avait d'autres chats à fouetter et qu’en même temps, il ne pouvait retourner à ses activités sans comprendre le pourquoi et le comment de ce demi-étage.

Philippe Odevain va-t-il vraiment emprunter le vieux conduit de pneumatique ?

Adam Longh a-t-il l'oreille assez fine pour suivre à travers des tuyaux le débat qui se tient à l'étage 6 et demi ?

Cindy Manche et Hector Boayeau vont-ils arriver à maîtriser ce trop sanguin Hervé Yograin ?

Nasser Virlasoupeux va-t-il arriver à contenir l'embryon de révolution salariale ?

Mais comment Henry Nutile est-il arrivé dans ce bureau qui pue le pisse ?

Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Roman Feuilleton du Lundi.


Arriverez-vous à attendre le 4 janvier 2010 pour lire le chapitre 15 ? L’auteur du Roman-feuilleton du Lundi reprend son souffle le 28 décembre et ne sera pas fidèle à son poste. Pardonnez-la.

lundi 14 décembre 2009

Cindy Manche au soleil - Chapitre 13 : Un moustachu un poil trop triste

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Le temps devenait de plus en plus gris. Les employés, roulés dans leur couverture, commençaient à sentir leur estomac gargouiller sévèrement. Et ils s'inquiétaient aussi pour leurs dossiers en cours, leur productivité, leur rentabilité. On les coinçait là depuis des heures et, à coup sûr, on allait, demain, leur reprocher de ne pas avoir rempli efficacement leur mission. Toute cette histoire allait leur retomber dessus. Une vague de mécontentement faisait vibrer doucement la foule. Peut-être le début d'une révolte. Filipo Lisse était seul face à la révolution embryonnaire et, malgré sa belle carrure, il ne se sentait pas les épaules assez larges pour enrayer ce mouvement. Mais où était donc Hervé Yograin ? Son patron avait tout de même l'art de savoir contrôler les situations les plus délicates. Le molosse était soudain très ramollo. Il appuya sur son Talky Walky pour trouver un peu de réconfort auprès de Nasser Virlasoupeux. Mais le cantinier avait d'autres chats à fouetter.

Il était en train de réceptionner la dépouille présidentielle. Le corps, avait été apprêté dans l'urgence par les techniciennes de surface qui l'avaient nettoyé avec art et avaient récuré vaillamment les larges plaies que le Président s'était faites en atterrissant. Il n'avait pas tout à fait figure humaine mais grâce au costume de coupe italienne miraculeusement retrouvé dans le dressing du 13e étage, il avait belle allure. Si on évitait de regarder son visage trop longuement, on retrouvait quelque chose du Bernard Cèlement qui avait mené d'une main de maître l'entreprise vers des résultats et des dividendes historiques. Grâce à ses collègues cuisiniers, réquisitionnés sans autre forme de procès, Nasser Virlasoupeux poussa le chariot vers le bar à salades transformé en autel. Le décor était vraiment à la hauteur du personnage. Nasser Virlasoupeux avait de quoi être fier : il avait hâte qu'Adam Longh réapparaisse pour admirer ce chef d'oeuvre de scénographie funéraire improvisée.

Une fois la dépouille disposée sur le bar aménagé et entouré de bouquets de branches de céleris verdoyants, Nasser alla vérifier que la pointeuse mobile était branchée. Il constata qu'elle fonctionnait convenablement. Il était hors de question que les salariés puissent imaginer faire l'école buissonnière, qu'ils échappent pour cause de chaos aux horaires fixes de La Société. Ce dernier hommage était obligatoire. Nasser avait également pris l'initiative de convoquer une photographe professionnelle, Artémise Opoin, pour immortaliser ce rassemblement et rappeler au monde, quand ce serait nécessaire, que la fonction présidentielle était démesurément périlleuse et qu'un homme comme Bernard Cèlement était un véritable martyr.

Il était temps de faire signe aux services de sécurité pour qu'ils dirigent la foule des salariés vers la cantine. Il bipa Filipo Lisse qui ressentit à ce petit bruit, un soulagement délicieux. Il n'était plus tout à fait seul et surtout, il avait enfin quelque chose à faire.

Au 13e étage Adam Longh respirait aussi. Il avait été intronisé. Et même s'il sentait un certain dépit dans l'attitude du Conseil d'administration, il se félicitait d'avoir les mains libres pour diriger comme il le souhaitait La Société. Il remercia les vieux sages en leur serrant chaleureusement la main puis se dirigea vers le bureau présidentiel qui était désormais le sien. Il fallait absolument qu'il se pose pour réfléchir aux derniers événements et agir efficacement. Il consulta son BlackBerry et constata que Nasser Virlasoupeux lui avait adressé plusieurs messages. Son cantinier-espion était d'une formidable efficacité. L'homme avait parfaitement organisé les obsèques de feu Cèlement. Tout roulait de ce côté-là. Son problème principal était maintenant de retrouver la petite assistante inventrice de la méditation transcendantale interurbaine. Mais qu'allait-il faire d'elle ? Elle avait tué Cèlement, il l'avait vue à travers le trou de la serrure. Elle avait du cran et surtout, elle possédait les secrets d'un nouveau mode de management qui pouvait lui être très utile. Il fallait qu'il la retrouve, lui extirpe les derniers secrets de sa méthode et la fasse définitivement disparaître. La disparition d'une petite assistante passerait sans doute inaperçue. Cela passerait pour une agression sexuelle sur le chemin du retour. Quand le soir tombe, il vaut mieux éviter d'afficher un joli popotin au risque de réveiller le désir de vilains loups rôdant autour des entreprises à l'affût de proies. Il n'était pas inquiet : son plan était imparable. En revanche, il fallait qu'il la retrouve d'urgence. Il essaya de joindre Hervé Yograin. En vain. Mais où donc était le chef de la sécurité ? Ce n'était pas son genre de ne pas répondre aux appels de la direction....

Hervé Yograin sentait son BlackBerry vibrer dans sa poche mais il ne pouvait pas se libérer de Hector Boayeau qui avait reprit le contrôle de la situation. Et tandis qu’il se retrouvait à nouveau prisonnier, Philippe Odevain, lui avait réussi à filer à toute vitesse. Ce type était décidément très fort. Ou alors, il avait une chance incroyable. Il fallait qu'il prenne exemple sur ce salopard et se libère enfin. Il devait pouvoir y arriver en se concentrant. Il allait les embobiner.

« Ecoutez-moi, non de Dieu ! Il est temps que vous ouvriez les yeux. Si ce type est parti en courant, c'est bien qu'il a quelque chose à se reprocher », hurla Yograin.

Cindy et Hector commençaient à se lasser sérieusement de cet individu récalcitrant. Et puis il y avait ces bruits d'eau et de souris qui les intriguaient. Ils n'étaient pas seuls à l'étage 6 et demi.

« Je suis curieuse de savoir ce qui se cache derrière ces portes », fit Cindy pour changer le cours de la conversation et montrer au chef de la sécurité que ses propos n'avaient absolument aucun intérêt. Il pouvait crier, elle ne voulait pas l'entendre. Elle l'avait définitivement classé dans la catégorie des personnages menteurs et traîtres, à éviter absolument.

« Stoooop, hurla Yograin, ne poussez pas l'une de ces portes. Vous mettez votre vie en péril. » Il n'en savait absolument rien mais il voulait gagner du temps. Il fallait qu'il sorte des griffes de ses geôliers. Qu'il reprenne son rôle au sein de La Société. Il fallait qu'il assiste aux obsèques de Bernard Cèlement. S'il n'était pas au premier rang, sa carrière était fichue. Il devait être à la cantine très rapidement. Il espéra que le cerveau rabougri de Filipo Lisse n'avait pris aucune initiative et que le corps du Président était toujours stocké à l'infirmerie. Il espéra qu'il lui restait encore du temps pour s'échapper et se glisser en bonne place au réfectoire.

Cindy fut boostée par les propos de Yograin. Si ce pervers lui disait de se méfier, c'est qu'au contraire, elle devait pousser les portes. Elle sentait que la dernière numération des pellicules sur les épaules de l’inquiétant inconnu qui avait pris la fuite lui avait donné une lucidité exceptionnelle. Elle voyait les choses comme jamais. Il lui semblait qu'elle détenait la vérité et qu'elle pouvait percer à jour tous les secrets. Elle allait donc pousser l'une de ces portes et voir enfin ce qui se tramait derrière. Elle ramassa le pénis qui avait été écrabouillé par le mystérieux fugitif. Il n'avait décidément vraiment plus l'air de rien. Elle se demanda un instant si elle ne devait pas l'abandonner là. Mais, elle le glissa finalement dans sa poche. Tandis qu’elle faisait ce geste, les événements de la journée, revinrent dans son esprit. Qui aurait dit, ce matin, alors qu'elle était dans le métro, absorbée par ses projets d'entreprise, que son directeur, après lui avoir fait des avances allait rendre l'âme au deuxième sous-sol allongé sur le capot d'une Jeep Cherokee ? Qui aurait pu dire que le Président Cèlement aurait tenté de lui extorquer des informations sur sa méthode de méditation transcendantale interurbaine puis que, guidée par un incroyable instinct de survie, elle l'aurait balancé par la fenêtre.

En se remémorant les événements de la matinée, elle réalisa qu'elle avait terriblement faim. Il était temps d'en finir avec toute cette histoire et de se taper un bon gros casse croûte.

« Hector, tenez bien ce pervers, je vais voir ce qui se cache derrière la porte ». Elle tourna enfin la poignée.

Lucie Ferre suivit le mouvement de la foule vers la cantine. Un mastodonte en costume hurlait des ordres dans un porte-voix. Elle ne comprenait pas tout, une espèce de râle s'élevant autour d'elle. Elle décida de suivre le flot. Alors qu'elle avançait docilement, elle remarqua qu'elle était coincée entre deux de ses collègues d'openspace : à sa gauche, Amélie Berthé, à sa droite, Eva Kanss. Elle observa les deux femmes discrètement. Avaient-elles, elles aussi, comme tant d'autres couché avec leur directeur, pour obtenir leurs postes, voire négocier des promotions ? Avaient-elles couché avec Armand Bitieux ?

Nasser Virlasoupeux vit arriver les premiers salariés. Il se tenait à l'entrée, dans une position centrale. Il demanda aux arrivants de poser leur couverture sur une table prévue à cet effet et de badger sur la pointeuse mobile avant d'avancer vers le bar à salades. Les employés sortirent leurs badges de leur poche et l'appliquèrent sur le lecteur optique de la machine. Personne ne rechigna. Les employés étaient bien trop habitués à badger à tout va : à chaque entrée et sortie de La Société, à la photocopieuse et à l'imprimante pour récupérer leurs copies, mais aussi aux toilettes pour déverrouiller les portes et déclencher les chasses d’eau et les robinets et, également, devant la machine à café pour faire tomber leur gobelet... Leur badge, c'était leur sésame. Et l'oeil de Moscou sans qu'ils s'en rendent vraiment compte.

Philippe Odevain marchait silencieusement dans le dédale de couloirs de l’étage 6 et demi. Il cherchait une cachette. Il n’osait pas pousser l’une de ses portes craignant de tomber sur un individu hostile. On ne savait pas trop ce que cachaient les placards.

Cindy Manche eut un choc. Derrière la porte qu’elle avait enfin poussée, un monsieur moustachu et pâlichon était en train de se rebraguetter. Il leva les yeux et son visage blanc devint brusquement tout rouge.

« Euh, qui êtes-vous ? », fit-il en vérifiant que son pantalon était à présent correctement ceinturé.

« Je suis Cindy Manche », répondit Cindy toujours franche.

« Vous venez me sortir du placard ?», questionna timidement le moustachu.

Cindy ne savait pas quoi répondre. Elle ne comprenait rien. Elle observait cet homme blême et son environnement : un bureau vide avec, pour seul accessoire, un gros téléphone gris sans doute centenaire et qui n’était branché nulle part et dans un coin une petite pissotière jaunâtre.

Qui donc est ce triste moustachu ?

Philippe Odevain va-t-il trouver une bonne cachette ?

Hervé Yograin réussira-t-il à s’échapper ?

Les obsèques de Bernard Cèlement vont-ils être un succès ?

Adam Longh arrivera-t-il à attraper Cindy Manche ?

Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Roman

lundi 7 décembre 2009

Cindy Manche au soleil - Chapitre 12 : La vie est Longh...

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Alain Vanteur avait regardé le journal télévisé tout en mangeant une cuisse de poulet rôti avec une salade. Puis, il était retourné à son bureau. Un petit bureau vitré qui donnait sur un espace occupé par ses employés dévoués et concentrés sur leurs diverses missions. Il avait créé sa société de farces et attrapes une quinzaine d'années plus tôt. Et sans que ce soit un désastre économique, sa petite maison s'en sortait à peine. Il observa ses salariés apparemment tranquilles et se demanda s'ils le haïssaient. Il repensa à Eva Kanss, ce témoin du suicide de son patron, et se sentit plein de colère. Alors, tous ces gens s'en fichaient du triste sort du patron qui démarche les banques pour trouver de la trésorerie les mois creux, qui passe des heures à motiver ses commerciaux, qui part en Chine pour rencontrer des fabricants low cost. Les 8 salariés de « La Farce cachée du monde » le détestaient-ils au point de souhaiter sa mort ? Comme il était d'une nature positive, il reporta ses angoisses sur une idée créative. Elle était plutôt pas mal, cette Eva Kanss, cette représentante de la classe insatisfaite. Il commença à griffonner son visage sur son gros bloc de croquis. Et c'est ainsi que vint l'idée du jeu de fléchette pour Président. Pour calmer les nerfs des patrons mal-aimés, il allait créer une cible à l'effigie de cette héroïne sociale. Il peaufina son projet et se dépêcha de l'apporter à son développeur. Il tenait là -peut-être un carton.

A l'étage 6 et demi, la situation était beaucoup moins amusante. Hector Boayeau maintenait, malgré son bras endolori, Hervé Yograin qui tentait, lui, de retrouver sa voix. Cindy Manche nettoyait amoureusement avec un vieux mouchoir sale ayant enveloppé un pénis sectionné et anonyme les yeux de Philippe Odevain comateux sous l'effet du litre de gaz lacrymogène reçu à bout portant. Le conseiller de l'ombre hésitait à ouvrir les paupières. Il venait de comprendre malgré ses brûlures insoutenables que la situation venait de se renverser. Lui qui avait cru perdre le contrôle, qui n'avait pas anticipé -et c'était bien la première fois- la réaction de son adversaire avait été sauvé par miracle. Décidément, une bonne étoile veillait sur lui. Il s'en voulut immédiatement de rattacher la situation à la chance et d'avoir une pensée aussi basique. Il n'y avait jamais de hasard. Hervé Yograin devait y passer comme il l'avait décidé et même s'il y avait des imprévus, tout devait ressembler à ce qu'il avait projeté. Il prit son temps avant de rouvrir les yeux. Il aimait les gestes doux de la personne qui tentait d'apaiser sa souffrance. Elle était à califourchon sur lui et il devinait, grâce à sa position, que son postérieur n'était pas banal. Il voulait, pour une fois, faire durer un peu le plaisir.

Tandis que Cindy s'appliquait à redonner vie au pauvre visage de la victime, Hervé Yograin réussit à articuler de nouveau.

« Méfiez-vous de cet individu, il a tenté de me tuer. J'essayais juste de me défendre quand vous avez débarqué. Et si vous n'aviez pas agi comme des imbéciles, je serais déjà loin, peut-être en train de dénoncer les agissements de cet assassin. »

Hector n'en revenait pas de l'aplomb du chef de la sécurité. Comment pouvait-il penser que deux de ses anciennes victimes allaient le croire ? Il les prenait pour des débiles finis ! Il resserra sa prise, déchirant la chair de son prisonnier malgré la douleur que lui provoquait le bleu barrant son avant-bras depuis qu'il avait défoncé la porte de communication. Yograin poussa un gémissement qui fit sourire Odevain.

« Il reprend conscience, remarqua Cindy. Nous allons pouvoir savoir ce qui s'est passé. »

Philippe Odevain rouvrit donc les yeux. Très lentement. Il tourna son visage vers la droite avant de retrouver la lumière. Et ce qu'il vit, posé sur la moquette, à côté de lui, le terrifia. Il n'avait pas peur de grand-chose. Mais un sexe d'homme coupé et pourri, ça il n'en avait pas vu beaucoup et c'est ce qui l'inquiétait le plus. Comment était-il arrivé là ? Pourquoi ces gens trimbalaient-ils un truc pareil ? Etaient-ils un couple de serial killers en goguette, ayant profité de l'affolement des masses pour pénétrer dans la tour ? Il fallait prendre des pincettes.

Il décolla ses paupières, prit un air très triste, et regarda enfin la femme le chevauchant. Elle n'était pas belle mais elle avait quelque chose de spécial.

« Merci », dit-il très doucement.

Cindy sourit. Elle était fière d'elle. Elle venait de sauver un homme. En l'observant attendrie, elle remarqua que sur les épaules de l'individu sur le sol, quelques pellicules s'épanouissaient comme de petites fleurs blanches. Elle en compta précisément 43. Et ce fut, pour elle, un bonheur de quelques secondes. De quelques secondes seulement. Car, tandis qu'elle comptabilisait, elle ressentit une immense angoisse : quelque chose clochait chez cet homme. Elle ne savait pas quoi mais il allait falloir faire attention.

Six étages et demi plus haut, on ne faisait pas joujou non plus. Adam Longh luttait contre une armée de fourmis lui grimpant le long de la gorge alors qu'il tirait sur les dernières bouffées de son gros cigare sous l'oeil attentif du Conseil d'administration. Il ne résista pas, il se racla le gosier. Ce ne fut pas une toux, juste une « reueum » étouffé. Il scruta à travers le nuage de fumée les vieux sages en train de l'observer pour valider sa nomination. Il les vit faire une petite moue désolée. Mais peut-être était-ce juste une espèce d'hallucination car la fumée était si épaisse qu'il lui était difficile de vraiment voir ses interlocuteurs. Il se sentit angoissé, terriblement angoissé : sa carrière était brisée, stoppée net pour un gros cigare mal digéré. Il finit tout de même son barreau de chaise en espérant se tromper.

Nasser Virlasoupeux était inquiet : que faisait donc Adam Longh ? Devant son mutisme et le temps qui tournait, il décida de lancer l'opération. Il fallait absolument rapatrier le corps de Bernard Cèlement à la cantine afin que les employés puissent faire leur mea culpa avant la fin de la journée. L'autel étant sublimement dressé à l'emplacement du bar à salades, la pointeuse mobile bien en place à l'entrée pour vérifier que chaque salarié viendrait rendre hommage à cette icône de l'entreprise. Il décrocha le téléphone rouge caché derrière le frigo géant de la cuisine et appela le service sécurité. Il tomba sur Filipo Lisse.

« Tout est prêt. Le corps peut-être transféré», susurra Nasser.

« Je démarre le transport. Il y a juste un point noir. Je dois normalement en référer à Hervé Yograin mais il est injoignable. Je tente de le joindre depuis une demi-heure mais il ne répond à aucun de mes messages. Comme il n'y a pas de plan B, je pense être habilité à lancer l'opération. »

« J'attends l'arrivée du corps à la porte de service, côté est », compléta Nasser. Et il raccrocha, intrigué : Adam Longh et Hervé Yograin semblaient avoir tous les deux disparu de la circulation. Et ça, c'était mauvais signe. Mais il fallait continuer. Malgré tout. C'était le métier de cantinier-espion de la direction qui voulait ça. Et quoi qu'il arrive, il ne trahirait pas son employeur.

« Vous arrivez à parler ? Interrogea Cindy malgré son mauvais pressentiment. Mon ami et moi avons besoin d'en savoir un peu plus sur la situation. »

« Cet inconnu m'agressait sans raison alors que je m'apprêtais à rejoindre les employés devant la tour. Je pense qu'il en voulait à mon argent », répondit Philippe Odevain non sans avoir dégluti douloureusement à plusieurs reprises.

« Menteur. Ce type est tout simplement un tueur. Et à gros gages en plus », siffla Yograin.

Cindy ne bougea pas. A califourchon sur le type, elle le contrôlait parfaitement et évitait ainsi tout débordement ou tentative d'évasion. « Monsieur Yograin, fit-elle sans pouvoir regarder son interlocuteur, je crois que vous n'êtes pas le plus crédible des individus. Vous n'êtes pas un saint et vous êtes, il me semble, vous aussi un tueur. Même si j'ignore si vous touchez de gros gages. »

« Je ne suis pas un tueur à gages, je suis un homme engagé. Engagé auprès d'une Société qui a besoin d'être protégée contre les imposteurs. Et ce type en est un. Il est un conseiller de l'ombre certes brillant mais prêt à tout. » Yograin était rouge et furieux. Il n'espérait qu'une chose : persuader cet improbable couple de le libérer.

Un bruit venu de derrière une porte les fit tous sursauter. Cela ressemblait à une chasse d'eau violemment déversée. Cet étage était donc peuplé. Il y avait des gens silencieux derrière ces portes alignées. Hector fut si surpris qu'il relâcha légèrement Yograin. Celui-ci entraîné à réagir de façon optimale profita de cette faiblesse pour se retourner contre son geôlier et surtout, une fois de plus retourner la situation en resserrant ses mains autour du cou de Boayeau. Mais c'était sans compter sur la vivacité de Cindy qui, voyant son bon clochard malmené, se jeta sur le chef de la sécurité et d'un geste assuré, retira ses paumes du cou permettant à Hector de respirer à nouveau convenablement. Une fois ce problème réglé, elle voulut se remettre à califourchon sur l'inconnu allongé mais il avait disparu.

Et dans sa course, il avait marché sur le pénis...

Tout là haut, Adam Longh avait enfin fini son gros cigare. A travers le nuage de fumée, il entendit clairement la voix : « Vous avez failli Monsieur Longh. Comment, après ce raclement de gorge, vous faire confiance ? Avez-vous vraiment la stature pour conduire la Société vers toujours plus de dividendes ? »

Adam Longh allait hurler quand une autre voix s'éleva : « Avons nous vraiment le choix, mon cher ? Je vous rappelle que cet homme est le seul successeur potentiel désigné par le Président Cèlement. Il est l'unique élu. Et je crois, que cette fois-ci, nous allons devoir déroger à la tradition et accepter d'introniser un homme qui ne sait pas déguster un gros cigare dans les règles de l'art. Disons, pour nous consoler, qu'un raclement de gorge n'est pas une toux. Et puis, il faut savoir vivre avec son temps : je vous rappelle que la loi ne permet plus de fumer dans les entreprises. Même à l'étage présidentiel...

Où est donc passé Philippe Odevain ?

Comment Cindy Manche et Hector Boayeau vont-il faire pour retrouver Odevain sans lâcher Yograin ?

Qui vit derrière les portes de l 'étage 6 et demi ?

Comment se fait-il qu'Adam Longh ait tant de chance ?

Nasser Virlasoupeux a-t-il eut raison de lancer le transfert du corps vers la cantine ?

Le cible Eva Kanss va-t-elle être un succès commercial ?

Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Roman feuilleton du lundi.

 
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