lundi 7 décembre 2009

Cindy Manche au soleil - Chapitre 12 : La vie est Longh...

Si vous n'avez pas lu les épisodes précédents, découvrez les dans la colonne de droite


Alain Vanteur avait regardé le journal télévisé tout en mangeant une cuisse de poulet rôti avec une salade. Puis, il était retourné à son bureau. Un petit bureau vitré qui donnait sur un espace occupé par ses employés dévoués et concentrés sur leurs diverses missions. Il avait créé sa société de farces et attrapes une quinzaine d'années plus tôt. Et sans que ce soit un désastre économique, sa petite maison s'en sortait à peine. Il observa ses salariés apparemment tranquilles et se demanda s'ils le haïssaient. Il repensa à Eva Kanss, ce témoin du suicide de son patron, et se sentit plein de colère. Alors, tous ces gens s'en fichaient du triste sort du patron qui démarche les banques pour trouver de la trésorerie les mois creux, qui passe des heures à motiver ses commerciaux, qui part en Chine pour rencontrer des fabricants low cost. Les 8 salariés de « La Farce cachée du monde » le détestaient-ils au point de souhaiter sa mort ? Comme il était d'une nature positive, il reporta ses angoisses sur une idée créative. Elle était plutôt pas mal, cette Eva Kanss, cette représentante de la classe insatisfaite. Il commença à griffonner son visage sur son gros bloc de croquis. Et c'est ainsi que vint l'idée du jeu de fléchette pour Président. Pour calmer les nerfs des patrons mal-aimés, il allait créer une cible à l'effigie de cette héroïne sociale. Il peaufina son projet et se dépêcha de l'apporter à son développeur. Il tenait là -peut-être un carton.

A l'étage 6 et demi, la situation était beaucoup moins amusante. Hector Boayeau maintenait, malgré son bras endolori, Hervé Yograin qui tentait, lui, de retrouver sa voix. Cindy Manche nettoyait amoureusement avec un vieux mouchoir sale ayant enveloppé un pénis sectionné et anonyme les yeux de Philippe Odevain comateux sous l'effet du litre de gaz lacrymogène reçu à bout portant. Le conseiller de l'ombre hésitait à ouvrir les paupières. Il venait de comprendre malgré ses brûlures insoutenables que la situation venait de se renverser. Lui qui avait cru perdre le contrôle, qui n'avait pas anticipé -et c'était bien la première fois- la réaction de son adversaire avait été sauvé par miracle. Décidément, une bonne étoile veillait sur lui. Il s'en voulut immédiatement de rattacher la situation à la chance et d'avoir une pensée aussi basique. Il n'y avait jamais de hasard. Hervé Yograin devait y passer comme il l'avait décidé et même s'il y avait des imprévus, tout devait ressembler à ce qu'il avait projeté. Il prit son temps avant de rouvrir les yeux. Il aimait les gestes doux de la personne qui tentait d'apaiser sa souffrance. Elle était à califourchon sur lui et il devinait, grâce à sa position, que son postérieur n'était pas banal. Il voulait, pour une fois, faire durer un peu le plaisir.

Tandis que Cindy s'appliquait à redonner vie au pauvre visage de la victime, Hervé Yograin réussit à articuler de nouveau.

« Méfiez-vous de cet individu, il a tenté de me tuer. J'essayais juste de me défendre quand vous avez débarqué. Et si vous n'aviez pas agi comme des imbéciles, je serais déjà loin, peut-être en train de dénoncer les agissements de cet assassin. »

Hector n'en revenait pas de l'aplomb du chef de la sécurité. Comment pouvait-il penser que deux de ses anciennes victimes allaient le croire ? Il les prenait pour des débiles finis ! Il resserra sa prise, déchirant la chair de son prisonnier malgré la douleur que lui provoquait le bleu barrant son avant-bras depuis qu'il avait défoncé la porte de communication. Yograin poussa un gémissement qui fit sourire Odevain.

« Il reprend conscience, remarqua Cindy. Nous allons pouvoir savoir ce qui s'est passé. »

Philippe Odevain rouvrit donc les yeux. Très lentement. Il tourna son visage vers la droite avant de retrouver la lumière. Et ce qu'il vit, posé sur la moquette, à côté de lui, le terrifia. Il n'avait pas peur de grand-chose. Mais un sexe d'homme coupé et pourri, ça il n'en avait pas vu beaucoup et c'est ce qui l'inquiétait le plus. Comment était-il arrivé là ? Pourquoi ces gens trimbalaient-ils un truc pareil ? Etaient-ils un couple de serial killers en goguette, ayant profité de l'affolement des masses pour pénétrer dans la tour ? Il fallait prendre des pincettes.

Il décolla ses paupières, prit un air très triste, et regarda enfin la femme le chevauchant. Elle n'était pas belle mais elle avait quelque chose de spécial.

« Merci », dit-il très doucement.

Cindy sourit. Elle était fière d'elle. Elle venait de sauver un homme. En l'observant attendrie, elle remarqua que sur les épaules de l'individu sur le sol, quelques pellicules s'épanouissaient comme de petites fleurs blanches. Elle en compta précisément 43. Et ce fut, pour elle, un bonheur de quelques secondes. De quelques secondes seulement. Car, tandis qu'elle comptabilisait, elle ressentit une immense angoisse : quelque chose clochait chez cet homme. Elle ne savait pas quoi mais il allait falloir faire attention.

Six étages et demi plus haut, on ne faisait pas joujou non plus. Adam Longh luttait contre une armée de fourmis lui grimpant le long de la gorge alors qu'il tirait sur les dernières bouffées de son gros cigare sous l'oeil attentif du Conseil d'administration. Il ne résista pas, il se racla le gosier. Ce ne fut pas une toux, juste une « reueum » étouffé. Il scruta à travers le nuage de fumée les vieux sages en train de l'observer pour valider sa nomination. Il les vit faire une petite moue désolée. Mais peut-être était-ce juste une espèce d'hallucination car la fumée était si épaisse qu'il lui était difficile de vraiment voir ses interlocuteurs. Il se sentit angoissé, terriblement angoissé : sa carrière était brisée, stoppée net pour un gros cigare mal digéré. Il finit tout de même son barreau de chaise en espérant se tromper.

Nasser Virlasoupeux était inquiet : que faisait donc Adam Longh ? Devant son mutisme et le temps qui tournait, il décida de lancer l'opération. Il fallait absolument rapatrier le corps de Bernard Cèlement à la cantine afin que les employés puissent faire leur mea culpa avant la fin de la journée. L'autel étant sublimement dressé à l'emplacement du bar à salades, la pointeuse mobile bien en place à l'entrée pour vérifier que chaque salarié viendrait rendre hommage à cette icône de l'entreprise. Il décrocha le téléphone rouge caché derrière le frigo géant de la cuisine et appela le service sécurité. Il tomba sur Filipo Lisse.

« Tout est prêt. Le corps peut-être transféré», susurra Nasser.

« Je démarre le transport. Il y a juste un point noir. Je dois normalement en référer à Hervé Yograin mais il est injoignable. Je tente de le joindre depuis une demi-heure mais il ne répond à aucun de mes messages. Comme il n'y a pas de plan B, je pense être habilité à lancer l'opération. »

« J'attends l'arrivée du corps à la porte de service, côté est », compléta Nasser. Et il raccrocha, intrigué : Adam Longh et Hervé Yograin semblaient avoir tous les deux disparu de la circulation. Et ça, c'était mauvais signe. Mais il fallait continuer. Malgré tout. C'était le métier de cantinier-espion de la direction qui voulait ça. Et quoi qu'il arrive, il ne trahirait pas son employeur.

« Vous arrivez à parler ? Interrogea Cindy malgré son mauvais pressentiment. Mon ami et moi avons besoin d'en savoir un peu plus sur la situation. »

« Cet inconnu m'agressait sans raison alors que je m'apprêtais à rejoindre les employés devant la tour. Je pense qu'il en voulait à mon argent », répondit Philippe Odevain non sans avoir dégluti douloureusement à plusieurs reprises.

« Menteur. Ce type est tout simplement un tueur. Et à gros gages en plus », siffla Yograin.

Cindy ne bougea pas. A califourchon sur le type, elle le contrôlait parfaitement et évitait ainsi tout débordement ou tentative d'évasion. « Monsieur Yograin, fit-elle sans pouvoir regarder son interlocuteur, je crois que vous n'êtes pas le plus crédible des individus. Vous n'êtes pas un saint et vous êtes, il me semble, vous aussi un tueur. Même si j'ignore si vous touchez de gros gages. »

« Je ne suis pas un tueur à gages, je suis un homme engagé. Engagé auprès d'une Société qui a besoin d'être protégée contre les imposteurs. Et ce type en est un. Il est un conseiller de l'ombre certes brillant mais prêt à tout. » Yograin était rouge et furieux. Il n'espérait qu'une chose : persuader cet improbable couple de le libérer.

Un bruit venu de derrière une porte les fit tous sursauter. Cela ressemblait à une chasse d'eau violemment déversée. Cet étage était donc peuplé. Il y avait des gens silencieux derrière ces portes alignées. Hector fut si surpris qu'il relâcha légèrement Yograin. Celui-ci entraîné à réagir de façon optimale profita de cette faiblesse pour se retourner contre son geôlier et surtout, une fois de plus retourner la situation en resserrant ses mains autour du cou de Boayeau. Mais c'était sans compter sur la vivacité de Cindy qui, voyant son bon clochard malmené, se jeta sur le chef de la sécurité et d'un geste assuré, retira ses paumes du cou permettant à Hector de respirer à nouveau convenablement. Une fois ce problème réglé, elle voulut se remettre à califourchon sur l'inconnu allongé mais il avait disparu.

Et dans sa course, il avait marché sur le pénis...

Tout là haut, Adam Longh avait enfin fini son gros cigare. A travers le nuage de fumée, il entendit clairement la voix : « Vous avez failli Monsieur Longh. Comment, après ce raclement de gorge, vous faire confiance ? Avez-vous vraiment la stature pour conduire la Société vers toujours plus de dividendes ? »

Adam Longh allait hurler quand une autre voix s'éleva : « Avons nous vraiment le choix, mon cher ? Je vous rappelle que cet homme est le seul successeur potentiel désigné par le Président Cèlement. Il est l'unique élu. Et je crois, que cette fois-ci, nous allons devoir déroger à la tradition et accepter d'introniser un homme qui ne sait pas déguster un gros cigare dans les règles de l'art. Disons, pour nous consoler, qu'un raclement de gorge n'est pas une toux. Et puis, il faut savoir vivre avec son temps : je vous rappelle que la loi ne permet plus de fumer dans les entreprises. Même à l'étage présidentiel...

Où est donc passé Philippe Odevain ?

Comment Cindy Manche et Hector Boayeau vont-il faire pour retrouver Odevain sans lâcher Yograin ?

Qui vit derrière les portes de l 'étage 6 et demi ?

Comment se fait-il qu'Adam Longh ait tant de chance ?

Nasser Virlasoupeux a-t-il eut raison de lancer le transfert du corps vers la cantine ?

Le cible Eva Kanss va-t-elle être un succès commercial ?

Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Roman feuilleton du lundi.

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