lundi 14 décembre 2009

Cindy Manche au soleil - Chapitre 13 : Un moustachu un poil trop triste

Si vous n'avez pas lu les épisodes précédents, découvrez les dans la colonne de droite

Le temps devenait de plus en plus gris. Les employés, roulés dans leur couverture, commençaient à sentir leur estomac gargouiller sévèrement. Et ils s'inquiétaient aussi pour leurs dossiers en cours, leur productivité, leur rentabilité. On les coinçait là depuis des heures et, à coup sûr, on allait, demain, leur reprocher de ne pas avoir rempli efficacement leur mission. Toute cette histoire allait leur retomber dessus. Une vague de mécontentement faisait vibrer doucement la foule. Peut-être le début d'une révolte. Filipo Lisse était seul face à la révolution embryonnaire et, malgré sa belle carrure, il ne se sentait pas les épaules assez larges pour enrayer ce mouvement. Mais où était donc Hervé Yograin ? Son patron avait tout de même l'art de savoir contrôler les situations les plus délicates. Le molosse était soudain très ramollo. Il appuya sur son Talky Walky pour trouver un peu de réconfort auprès de Nasser Virlasoupeux. Mais le cantinier avait d'autres chats à fouetter.

Il était en train de réceptionner la dépouille présidentielle. Le corps, avait été apprêté dans l'urgence par les techniciennes de surface qui l'avaient nettoyé avec art et avaient récuré vaillamment les larges plaies que le Président s'était faites en atterrissant. Il n'avait pas tout à fait figure humaine mais grâce au costume de coupe italienne miraculeusement retrouvé dans le dressing du 13e étage, il avait belle allure. Si on évitait de regarder son visage trop longuement, on retrouvait quelque chose du Bernard Cèlement qui avait mené d'une main de maître l'entreprise vers des résultats et des dividendes historiques. Grâce à ses collègues cuisiniers, réquisitionnés sans autre forme de procès, Nasser Virlasoupeux poussa le chariot vers le bar à salades transformé en autel. Le décor était vraiment à la hauteur du personnage. Nasser Virlasoupeux avait de quoi être fier : il avait hâte qu'Adam Longh réapparaisse pour admirer ce chef d'oeuvre de scénographie funéraire improvisée.

Une fois la dépouille disposée sur le bar aménagé et entouré de bouquets de branches de céleris verdoyants, Nasser alla vérifier que la pointeuse mobile était branchée. Il constata qu'elle fonctionnait convenablement. Il était hors de question que les salariés puissent imaginer faire l'école buissonnière, qu'ils échappent pour cause de chaos aux horaires fixes de La Société. Ce dernier hommage était obligatoire. Nasser avait également pris l'initiative de convoquer une photographe professionnelle, Artémise Opoin, pour immortaliser ce rassemblement et rappeler au monde, quand ce serait nécessaire, que la fonction présidentielle était démesurément périlleuse et qu'un homme comme Bernard Cèlement était un véritable martyr.

Il était temps de faire signe aux services de sécurité pour qu'ils dirigent la foule des salariés vers la cantine. Il bipa Filipo Lisse qui ressentit à ce petit bruit, un soulagement délicieux. Il n'était plus tout à fait seul et surtout, il avait enfin quelque chose à faire.

Au 13e étage Adam Longh respirait aussi. Il avait été intronisé. Et même s'il sentait un certain dépit dans l'attitude du Conseil d'administration, il se félicitait d'avoir les mains libres pour diriger comme il le souhaitait La Société. Il remercia les vieux sages en leur serrant chaleureusement la main puis se dirigea vers le bureau présidentiel qui était désormais le sien. Il fallait absolument qu'il se pose pour réfléchir aux derniers événements et agir efficacement. Il consulta son BlackBerry et constata que Nasser Virlasoupeux lui avait adressé plusieurs messages. Son cantinier-espion était d'une formidable efficacité. L'homme avait parfaitement organisé les obsèques de feu Cèlement. Tout roulait de ce côté-là. Son problème principal était maintenant de retrouver la petite assistante inventrice de la méditation transcendantale interurbaine. Mais qu'allait-il faire d'elle ? Elle avait tué Cèlement, il l'avait vue à travers le trou de la serrure. Elle avait du cran et surtout, elle possédait les secrets d'un nouveau mode de management qui pouvait lui être très utile. Il fallait qu'il la retrouve, lui extirpe les derniers secrets de sa méthode et la fasse définitivement disparaître. La disparition d'une petite assistante passerait sans doute inaperçue. Cela passerait pour une agression sexuelle sur le chemin du retour. Quand le soir tombe, il vaut mieux éviter d'afficher un joli popotin au risque de réveiller le désir de vilains loups rôdant autour des entreprises à l'affût de proies. Il n'était pas inquiet : son plan était imparable. En revanche, il fallait qu'il la retrouve d'urgence. Il essaya de joindre Hervé Yograin. En vain. Mais où donc était le chef de la sécurité ? Ce n'était pas son genre de ne pas répondre aux appels de la direction....

Hervé Yograin sentait son BlackBerry vibrer dans sa poche mais il ne pouvait pas se libérer de Hector Boayeau qui avait reprit le contrôle de la situation. Et tandis qu’il se retrouvait à nouveau prisonnier, Philippe Odevain, lui avait réussi à filer à toute vitesse. Ce type était décidément très fort. Ou alors, il avait une chance incroyable. Il fallait qu'il prenne exemple sur ce salopard et se libère enfin. Il devait pouvoir y arriver en se concentrant. Il allait les embobiner.

« Ecoutez-moi, non de Dieu ! Il est temps que vous ouvriez les yeux. Si ce type est parti en courant, c'est bien qu'il a quelque chose à se reprocher », hurla Yograin.

Cindy et Hector commençaient à se lasser sérieusement de cet individu récalcitrant. Et puis il y avait ces bruits d'eau et de souris qui les intriguaient. Ils n'étaient pas seuls à l'étage 6 et demi.

« Je suis curieuse de savoir ce qui se cache derrière ces portes », fit Cindy pour changer le cours de la conversation et montrer au chef de la sécurité que ses propos n'avaient absolument aucun intérêt. Il pouvait crier, elle ne voulait pas l'entendre. Elle l'avait définitivement classé dans la catégorie des personnages menteurs et traîtres, à éviter absolument.

« Stoooop, hurla Yograin, ne poussez pas l'une de ces portes. Vous mettez votre vie en péril. » Il n'en savait absolument rien mais il voulait gagner du temps. Il fallait qu'il sorte des griffes de ses geôliers. Qu'il reprenne son rôle au sein de La Société. Il fallait qu'il assiste aux obsèques de Bernard Cèlement. S'il n'était pas au premier rang, sa carrière était fichue. Il devait être à la cantine très rapidement. Il espéra que le cerveau rabougri de Filipo Lisse n'avait pris aucune initiative et que le corps du Président était toujours stocké à l'infirmerie. Il espéra qu'il lui restait encore du temps pour s'échapper et se glisser en bonne place au réfectoire.

Cindy fut boostée par les propos de Yograin. Si ce pervers lui disait de se méfier, c'est qu'au contraire, elle devait pousser les portes. Elle sentait que la dernière numération des pellicules sur les épaules de l’inquiétant inconnu qui avait pris la fuite lui avait donné une lucidité exceptionnelle. Elle voyait les choses comme jamais. Il lui semblait qu'elle détenait la vérité et qu'elle pouvait percer à jour tous les secrets. Elle allait donc pousser l'une de ces portes et voir enfin ce qui se tramait derrière. Elle ramassa le pénis qui avait été écrabouillé par le mystérieux fugitif. Il n'avait décidément vraiment plus l'air de rien. Elle se demanda un instant si elle ne devait pas l'abandonner là. Mais, elle le glissa finalement dans sa poche. Tandis qu’elle faisait ce geste, les événements de la journée, revinrent dans son esprit. Qui aurait dit, ce matin, alors qu'elle était dans le métro, absorbée par ses projets d'entreprise, que son directeur, après lui avoir fait des avances allait rendre l'âme au deuxième sous-sol allongé sur le capot d'une Jeep Cherokee ? Qui aurait pu dire que le Président Cèlement aurait tenté de lui extorquer des informations sur sa méthode de méditation transcendantale interurbaine puis que, guidée par un incroyable instinct de survie, elle l'aurait balancé par la fenêtre.

En se remémorant les événements de la matinée, elle réalisa qu'elle avait terriblement faim. Il était temps d'en finir avec toute cette histoire et de se taper un bon gros casse croûte.

« Hector, tenez bien ce pervers, je vais voir ce qui se cache derrière la porte ». Elle tourna enfin la poignée.

Lucie Ferre suivit le mouvement de la foule vers la cantine. Un mastodonte en costume hurlait des ordres dans un porte-voix. Elle ne comprenait pas tout, une espèce de râle s'élevant autour d'elle. Elle décida de suivre le flot. Alors qu'elle avançait docilement, elle remarqua qu'elle était coincée entre deux de ses collègues d'openspace : à sa gauche, Amélie Berthé, à sa droite, Eva Kanss. Elle observa les deux femmes discrètement. Avaient-elles, elles aussi, comme tant d'autres couché avec leur directeur, pour obtenir leurs postes, voire négocier des promotions ? Avaient-elles couché avec Armand Bitieux ?

Nasser Virlasoupeux vit arriver les premiers salariés. Il se tenait à l'entrée, dans une position centrale. Il demanda aux arrivants de poser leur couverture sur une table prévue à cet effet et de badger sur la pointeuse mobile avant d'avancer vers le bar à salades. Les employés sortirent leurs badges de leur poche et l'appliquèrent sur le lecteur optique de la machine. Personne ne rechigna. Les employés étaient bien trop habitués à badger à tout va : à chaque entrée et sortie de La Société, à la photocopieuse et à l'imprimante pour récupérer leurs copies, mais aussi aux toilettes pour déverrouiller les portes et déclencher les chasses d’eau et les robinets et, également, devant la machine à café pour faire tomber leur gobelet... Leur badge, c'était leur sésame. Et l'oeil de Moscou sans qu'ils s'en rendent vraiment compte.

Philippe Odevain marchait silencieusement dans le dédale de couloirs de l’étage 6 et demi. Il cherchait une cachette. Il n’osait pas pousser l’une de ses portes craignant de tomber sur un individu hostile. On ne savait pas trop ce que cachaient les placards.

Cindy Manche eut un choc. Derrière la porte qu’elle avait enfin poussée, un monsieur moustachu et pâlichon était en train de se rebraguetter. Il leva les yeux et son visage blanc devint brusquement tout rouge.

« Euh, qui êtes-vous ? », fit-il en vérifiant que son pantalon était à présent correctement ceinturé.

« Je suis Cindy Manche », répondit Cindy toujours franche.

« Vous venez me sortir du placard ?», questionna timidement le moustachu.

Cindy ne savait pas quoi répondre. Elle ne comprenait rien. Elle observait cet homme blême et son environnement : un bureau vide avec, pour seul accessoire, un gros téléphone gris sans doute centenaire et qui n’était branché nulle part et dans un coin une petite pissotière jaunâtre.

Qui donc est ce triste moustachu ?

Philippe Odevain va-t-il trouver une bonne cachette ?

Hervé Yograin réussira-t-il à s’échapper ?

Les obsèques de Bernard Cèlement vont-ils être un succès ?

Adam Longh arrivera-t-il à attraper Cindy Manche ?

Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Roman

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