lundi 30 novembre 2009

Cindy Manche au soleil - Chapitre 11 : La porte de l'angoisse

Si vous n'avez pas lu les épisodes précédents, découvrez les dans la colonne de droite

A 13 h, sur l'ensemble des chaînes de télévision du pays, le visage d'Eva Kanss apparut. Les téléspectateurs se rapprochèrent de leurs écrans tant ce beau visage était inhabituel. Et ce qu'ils entendirent les étonna. Aux journalistes qui lui demandaient si elle était choquée par le fait que le Président de sa Société ne se montre que lors d'annonces de plan de sauvegarde de l'emploi..., elle osait répondre : « Pas plus que ça, les patrons agissent tous ainsi. ». Et alors que certains rebelles allaient avoir l'idée de penser qu'elle n'avait pas tort, le commentateur enchaînait sur les images du corps de Bernard Cèlement : « Devant de telles réactions injustes et injustifiés, peut-on aujourd'hui s'étonner que les Présidents, héros modernes, mettent fin à leurs jours en passant par la fenêtre de leurs bureaux. Aujourd'hui, d'après de nombreux témoignages de conseillers, on peut affirmer que les Présidents de toutes les sociétés, pourtant garants de la vitalité de nos économies et donc de nos pays et pour ainsi dire de nos vies, se sentent en danger, sans cesse critiqués par des collaborateurs, inconscients de leur chance d'avoir un poste rémunéré. Il est temps d'agir, de défendre des individus menacés... »

C'était peut-être un hasard, mais La Société partageait certains de ses actionnaires avec quelques groupes de presse.

Tandis que ses propos soulevaient des réactions et des débats, Eva Kanss se fondait dans la masse des employés de La Société enroulés dans leurs couvertures de survie publicitaires. Personne n'avait conscience que les hélicos qui ronronnaient au-dessus de leurs têtes étaient remplis de reporters armés de caméras captant le moindre de leurs mouvements pour le retransmettre sur les chaînes d'infos en continue.

La machine médiatique était en marche et tout semblait rouler. A l'étage 6 et demi, Philippe Odevain se frottait les mains en suivant en direct sur son Blakberry l'évolution de son plan. Il leva la tête en entendant Hervé Yograin sortir de l'ascenseur. Un peu courbé, car cet entresol secret était bas de plafond, le chef de la sécurité s'avança vers lui en souriant.

« Qu'il profite de ce moment... Qu'espère-t-il ? Une promotion ? C'est fou comme l'être humain peut être naïf », songea Odevain, en le voyant venir vers lui.

« Votre plan fonctionne merveilleusement bien, fit Yograin en tapant sur l'épaule d'Odevain et je suis flatté et ravi d'avoir contribué à ce succès. »

Odevain fut choqué par le geste amical et les propos déplacés de son interlocuteur : comment cette vermine osait-elle le toucher et s'approprier son travail ? Il était le seul penseur de cette stratégie, le seul vrai acteur aussi. Il tirait les ficelles et les autres n'étaient que des pantins. Cette pourriture méritait bien ce qui allait lui arriver. Il montra ses dents dans une grimace qui se voulait rassurante.

« Allons célébrer ça dans mon bureau », proposa-t-il à Yograin.

Il l'entraîna ainsi dans un dédale de couloirs percés de portes. En suivant celui qu'il considérait à présent comme son Pygmalion, Hervé Yograin s'interrogeait sur ce lieu. Que trouvait-on derrière ces portes ? Il osa poser la question à Philippe Odevain. Celui-ci se retourna et éclata de rire : « Et moi qui pensais que vous saviez tout de La Société ! Vous ignorez donc ce qui se trame à cet étage ? Il y a donc des choses qui vous échappent encore... »

Hervé Yograin serra les lèvres. Il ne voulait pas passer pour un minable aux yeux du conseiller de l'ombre. Il imagina très vite une réponse justifiant sa naïve question : « J'ai la clé de cet étage. Et je suis l'un des rares employés de La Société à la posséder. Mais il est vrai que mon emploi du temps ne m'a jamais permis de venir ici. Je suis trop occupé pour m'éparpiller. Et du coup, certains éléments m'échappent... » Il était plutôt satisfait de sa justification. Il s'y présentait comme un initié tout en expliquant que la charge de travail était énorme. Oui, il avait assuré.

Philippe Odevain ne semblait pourtant pas convaincu. Il arborait toujours cette espèce de rictus inquiétant qui aurait pu ressembler à un sourire mais avait quelque chose de mauvais. Hervé Yograin avait l'habitude de se méfier de tout le monde mais là, à cet instant, il voulait croire en son destin, en la reconnaissance humaine. Il voulait foncer les yeux fermés.

A quelques mètres des deux hommes, Hector Boayeau se jetait sur la petite porte de la cage d'escalier. Plié en deux, il avait couru le coude droit en avant et avait réussi à légèrement déboîter la charnière. Il poussa un petit cri de douleur lors du choc. Cindy eut pitié de ce qu'elle avait fait faire à cet homme pas tout à fait en forme. Elle s'approcha de lui et inspecta son avant-bras. Il commençait à devenir bleu. Elle fut si désolée que sans y réfléchir vraiment à son geste, elle posa ses lèvres sur la peau violacée et l'embrassa doucement. Pour Hector Boayeau, ce baiser fut une décharge électrique : sa tête s'emplit de mille étoiles, son cerveau oublia toute souffrance, ses neurones furent secoués dans tous les sens, il perdit presque connaissance. Et soudain, il sentit qu'il était amoureux. Puis, dès qu'il eut vraiment conscience de cette situation, son coeur se serra. Il était incapable de satisfaire sexuellement les femmes de pouvoir. Et il avait découvert quelques minutes plus tôt que Cindy Manche en était une...

Tandis qu'Hector gérait intérieurement ses problèmes de virilité, Cindy réalisait qu'elle n'avait pas détesté embrasser le bras de cet homme. Il était doux et elle aimait bien ça. Elle songea que s'ils sortaient sains et saufs de cette tour, ils pourraient peut-être envisager une partie de jambes en l'air. Mais, ils n'en étaient pas là. Avant toute chose, il fallait qu'ils ouvrent cette porte. Et Hector n'était pas en mesure de se lancer dans un nouvel assaut. Pour se rebooster un brin, Cindy compta à toute vitesse une trentaine de pellicules sur les épaules de son compagnon d'infortune. Sa numération achevée, elle se sentit totalement requinquée et se félicita encore une fois de l'efficacité de sa méthode. Puis, elle appuya fortement ses paumes sur la porte, recula de quelques pas et poussa de toutes ses forces.

« Pour qui vous prenez-vous? Vous n'êtes qu'un pion comme les autres. Et le pion n'est rien sans le joueur. Qui est le joueur ? Je suis le joueur, le seul, l'unique. Et la partie est finie. Elle ne m'amuse plus. Essayez de bouger, le pion ! Vous voyez, vous n'y arrivez pas. Si je ne vous pousse pas, si je ne vous dirige pas Yograin, vous n'êtes rien. Game Over ! », hurla Philippe Odevain à l'oreille d'Hervé Yograin. Ce dernier fut paralysé par ce terrible cri. Et pourtant, son cerveau continuait à fonctionner à toute allure. Il réalisa qu'il avait dans la poche une petite bombe lacrymogène... Il réussit, malgré sa terreur et sa surprise, à glisser sa main jusqu'au flacon... Et d'un geste efficace, il le sortit et vaporisa l'intégralité du contenu dans les yeux de son adversaire.

Cindy entendit un craquement. La porte cédait enfin. Elle fit un dernier effort et elle fut brusquement projetée dans le couloir. Elle se releva d'un bond, en entendant un terrible cri. Il fallait faire vite. Que se passait-il donc dans cet entresol ? Elle fonça tout droit, suivie de près par Hector amoureux mais impuissant. Intriguée par l'enfilade de portes qui bordaient le couloir, elle posa son oreille contre l'une des cloisons. Pas un souffle, pas un bruit. En revanche, elle entendait du mouvement plus loin. Ils poursuivirent leur chemin à toute allure sans savoir ce qui les attendait au bout du couloir.

Nasser Virlasoupeux était satisfait. Il avait rempli la mission confiée par Adam Longh. Le réfectoire avait été transformé sous ses ordres en lieu de recueillement pour les employés. Il s'inquiétait un peu car depuis quelques heures, il n'arrivait plus à joindre son patron. En cuistot-espion très entraîné, il avait appris que quand la hiérarchie ne répond plus, c'est que quelque chose cloche. Il essayait de ne pas trop penser à d'éventuels problèmes en se concentrant sur sa réussite majeure : l'autel qui recevrait le corps de Bernard Cèlement installé dans l'endroit le plus central, en lieu et place de l'habituel bar à salades. Il avait également fait venir à l'entrée de la cantine une superbe pointeuse mobile dernier cri, grâce à laquelle la direction pourrait vérifier que tous les employés étaient venus faire amende honorable devant le cadavre raplapla de feu leur Président, mort par leur faute.

Là-haut au 13e étage, précisément 6 étages et demi au dessus de l'étage six et demi, Adam Longh baignait dans un énorme nuage de fumée grise. Il tentait de venir à bout de son gros cigare sous les regards attentifs de tous les membres du Conseil d'Administration. C'est alors que le pis se produit. Il sentit, dans le fond de sa gorge les premiers picotements. Comme les pattes d'une petite armée de fourmis remontant le long de son gosier. Il tenta de maîtriser cette sensation. Ce n'était rien. Il lui suffisait de se concentrer sur les feuilles se consumant lentement et tout irait bien. Mais les pattes de fourmis étaient en train de se transformer en pinces de crabes... Il reprit son souffle entre deux bouffées espérant enrayer les gratouillis mais l'afflux d'air dans sa gorge accentua son malaise. Il allait se racler le gosier.

Essoufflés, Cindy et Hector, empruntèrent un dernier virage et tombèrent sur Hervé Yograin à cheval sur un homme inconnu, en train de lui vaporiser dans les yeux ce qui ressemblait fort à du gaz lacrymogène.

Cindy n'en revenait, ce sale type était encore en train de frapper. Quant à Hector Boayeau, il reconnut immédiatement le chef du service sécurité, l'individu qui avait brisé sa vie en le licenciant. Il sentit la haine monter en lui. Il se jeta sur Yograin, saisit ses poignets, les tira dans son dos et le maintint ainsi.

Cindy fixa Yograin : « Décidément, ce n'est pas votre jour. Non seulement, vous n'avez pas réussi à vous débarrasser de moi mais en plus, nous allons sauver une autre de vos victimes. Et vous savez quoi, je ne sais même pas si je vais vous laisser ressortir vivant de ce drôle d'étage intermédiaire.

Yograin avait vraiment la guigne. Un ancien employé licencié abusivement et qu'il croyait sous contrôle dans le local poubelles prêt à servir de coupable dans une affaire de meurtre l'avait totalement immobilisé. Une assistante un peu trop futée qu'il pensait disparue le menaçait de mort. Son bourreau, le terrible Philippe Odevain, allait s'en sortir. Et lui ne pouvait même pas parler car le gaz qu'il avait respiré en le balançant dans les yeux de son adversaire lui avait tellement irrité la bouche qu'aucun son ne pouvait plus en sortir.

« Pauvre homme, soupira Cindy en se penchant sur Odevain. N'ayez plus peur, nous allons vous aider. » Elle extirpa de sa poche le sexe sectionné, le sortit de son mouchoir : il était bien mal en point. Complètement noir à présent, il était aussi très plat et puait fortement. Elle le posa à côté d'elle et utilisa le mouchoir -le seul qu'elle avait sous la main, mais à la guerre comme à la guerre- pour essuyer les yeux de la victime.

Philippe Odevain va-t-il être reconnaissant à Cindy et Hector de l'avoir sauvé des griffes de Yograin ?

Est-ce qu'un raclement de gorge est équivalent à une toux aux yeux du Conseil d'Administration ?

Cindy Manche va-t-elle oublier le pénis sectionné au milieu du couloir ?

Que cachent les portes en enfilade de l'étage 6 et demi ?

Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Roman-feuilleton du Lundi

lundi 23 novembre 2009

Cindy Manche au soleil - Chapitre 10 : A feu et Adam...

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Lucie Ferre regardait abasourdie la foule des employés s'enroulant dans des couvertures de survie. La scène lui semblait surréaliste. Elle avait accepté le drap argenté offert par un employé du service communication. Et, comme les autres, elle l'avait posé sur ses épaules. Mais, au fond d'elle, elle ressentait une immense humiliation. Par les temps qui couraient mieux valait faire profil bas et exécuter sans discuter les ordres de la direction. Elle avait absolument besoin de son boulot. Son mari était mort quelques années auparavant, et elle devait assumer seule, le remboursement des traites de leur pavillon de banlieue.

Certes, la mort de son mari, avait été une délivrance, qu'elle avait d'ailleurs un peu provoquée. En fermant les yeux, elle revoyait nettement ce soir d'hiver, où, une fois de plus bourré, son époux alcoolique et violent avait providentiellement glissé dans l'escalier, dégringolant à toute vitesse, tête en avant, pour finir la nuque brisée sur le paillasson. Ce jour-là, elle avait méticuleusement nettoyé chaque marche mélangeant à la cire un peu d'eau savonneuse. Cela faisait plusieurs semaines qu'elle frottait vigoureusement le bois espérant qu'il deviendrait aussi glissant qu'une savonnette sur le bord d'un lavabo. Et son travail, son grand ménage avait enfin porté ses fruits. Le SAMU avait, rien qu'à l'odeur du corps, constaté que son époux était plus qu'éméché et l'accident n'avait jamais été remis en cause.

« Enfin tranquille », avait-elle songé, son mari à peine expédié à la morgue. Plus de colère, de reproches, d'engueulades... Juste le silence, le bruit des feuilles dans le vent qui traversait les fenêtres ouvertes. Bien sûr, elle avait après ce décès, découvert que son mari n'avait pas pris soin de prendre une assurance sur sa tête en cas de mort et que du coup, elle devait assumer les remboursements du pavillon et que les caisses du couple étaient vides. Mais, elle s'en fichait bien. Elle avait un salaire convenable dans La Société, elle n'aspirait qu'à rester dans sa maison avec ce petit jardin où l'on pouvait enterrer plein de choses...

Quand Lucie Ferre rouvrit les yeux, elle vit Eva Kanss se recoiffer du bout des doigts. Elle l'avait observée déblatérant devant les caméras. Elle espéra très fort que son mail de dénonciation allait porter ses fruits. Que cette fille qui se prenait vraiment pour une princesse, remuait ses fesses sans cesse, se repoudrait le nez à tout va au lieu de travailler et attirait tous les regards, allait vite disparaître de l'openspace. Elle en avait vu d'autres, des comme ça, des filles qui se croient tout permis parce qu'elles ont belle allure. Elles n'avaient pas fait long feu. Lucie savait y faire pour évincer ses congénères un peu trop envahissantes. Le travail n'avait plus de valeur dans La Société. Il fallait maintenant être sublime pour être reconnue. Son coeur se pinça. Les choses ne tournaient pas toujours comme on l'aurait souhaité. Elle en savait quelque chose, elle qui trimait tant et n'avait reçu, en échange que de l'indifférence.

Tandis que la foule des employés se transformait paisiblement en panneau publicitaire géant, Adam Longh, glissait entre ses lèvres un énorme cigare. Il devait passer l'ultime épreuve avant d'être totalement intronisé par le Conseil d'administration : fumer jusqu'au bout ce cigare sans tousser. La fumée, très vite forma un nuage autour de son visage. Il fallait absolument qu'il aille au bout de ce barreau de chaise. Tout son esprit se concentra sur ce challenge. Il se laissa aller, en fixant les vieux sages qui l'entouraient, attentifs à sa prestation.

L'intérieur de la tour était très calme. Philippe Odevain se promenait d'étages en étages profitant du silence des bureaux. Dans une main, il tenait son Blackberry, dans l'autre un talky walky le reliant directement à Hervé Yograin. Il s'amusait comme un enfant en empruntant les ascenseurs désertés. Débarquant dans des openspaces vides, fouillant dans les sacs abandonnés, piquant, par jeu, un portefeuille par ci, un paquet de chewing-gums par là... il y avait un côté fin du monde. Et il se sentait comme le roi de cet univers. Adam Longh était là-haut face au conseil. Les employés étaient en bas surveillés et tenus à distance. Et lui, était là, au milieu, évoluant comme bon lui semblait, le seul individu, libre de ses gestes. Le conseiller de l'ombre avait réussi, grâce à ses subtiles stratégies, à tenir l'ensemble de La Société entre ses doigts. Mais avant de se sentir totalement libre, il lui fallait en finir avec Hervé Yograin, le chef de la sécurité en savait trop, contrôlait trop de réseaux, avait accès à trop d'informations... L'individu était bien trop dangereux, et il fallait s'en débarrasser. L'urgence de la situation lui sembla évidente. C'était le moment où jamais. Un cadavre de plus ne surprendrait personne, serait aisément exploitable dans son plan média, confortant le message qu'il souhaitait faire passer sur la dangerosité, aujourd'hui, de vouloir faire évoluer positivement une entreprise créatrice d'emplois, génératrices de profits indispensables à tous. Après la mort du Président, celle du chef de la sécurité ne surprendrait personne. C'était le moment. Il appela Yograin dans son talky walky. « Rendez-vous où vous savez », souffla-t-il dans la machine.

Le coeur d'Hervé Yograin se mit à battre très fort. Philippe Odevain, le grand conseiller, l'homme qui dirigeait finalement dans l'ombre, La Société, lui donnait enfin rendez-vous. Il avait attendu ce moment toute sa vie. Il n'en doutait pas. Après ces années de fidélité à la direction, d'efficacité et d'inventivité en matière de contrôle des salariés, de surveillance des masses et de maintien de la sécurité, il allait enfin être récompensé, promu, reconnu, projeté dans la lumière. Le grand jour était enfin arrivé.

Hector Boayeau n'était pas très à l'aise. Cindy Manche avait découvert son incontrôlable trique. Il avait un instant songé à lui sauter dessus. Après tout, ils étaient seuls dans cet escalier, peut-être même dans cette tour. Et tout était possible. Mais, la dame, malgré ses airs de rien, n'était pas décidée à se laisser faire. Il était même évident qu'elle se défendrait. Et visiblement, elle en avait déjà maté plus d'un. De toute évidence, elle avait même dompté Bernard Cèlement et peut-être était-elle responsable de son atterrissage non contrôlé sur le parvis.

Tandis qu'il baissait les yeux sur son entrejambe encore vaillant, Cindy lui déclara tout de go : « N'essayez même pas d'y penser. J'ai déjà balancé, par le fenêtre un Président, je peux sans aucun problème faire rouler sur des marches en béton, un clochard dont personne n'a rien à faire. »

Hector Boayeau fut blessé par cette remarque et fixant l'assistante, il lui déclara sûr de lui : « Je ne suis pas un clochard dont personne n'a rien à faire. Je vous rappelle que je suis le coupable idéal. Celui sur le dos de qui on va mettre le meurtre d'Armand Bitieux et peut-être votre crime. Alors, autant dire, qu'aujourd'hui, j'ai un rôle crucial. Sans doute bien plus important que le vôtre, pauvre petite assistante ! »

Oh mais, c'est que Cindy n'allait pas se laisser faire par ce déchet humain : « Pauvre petite assistante ? On voit que vous êtes déconnecté de toute réalité. Sachez Monsieur l'exclu, que je suis la créatrice de la méditation transcendantale interurbaine, une méthode de gestion du stress révolutionnaire que bien des dirigeants, dont ceux de cette Société, aimeraient s'approprier ! »

Tandis que Cindy et Hector échangeaient des propos enflammés dans la cage d'escalier, Hervé Yograin, traversait le hall de la tour, appelait l'ascenseur dont les portes s'ouvrirent immédiatement, glissa un petite clé dans une minuscule serrure au-dessus des boutons d'appel, et se laissa porter vers l'étage secret, celui que seuls quelques initiés connaissait, l'étage 6 et demi...

Hector Boayeau débanda brutalement. Les femmes de pouvoir, celles qui inventaient, dirigeaient et parlaient fort, l'impressionnaient et surtout ne l'excitaient pas du tout. Cindy Manche après ses déclarations avait changé de catégorie : d'une innocente assistante au postérieur exceptionnel, elle venait de devenir une inventrice de concepts, une femme de pouvoir. Et tout son potentiel sexuel s'était évanoui avec cette découverte.

« Je vois que vous êtes redevenu raisonnable, souffla Cindy en découvrant que la braguette de son compagnon s'était miraculeusement affaissée. Allez, il est temps de continuer notre ascension. Dès que nous voyons une porte, nous sortons de cette cage d'escalier ».

Hector Boayeau se soumit. Il n'avait pas vraiment le choix. Il fallait qu'ils sortent de là.

Ils montèrent quelques marches et après un coude, découvrirent, une drôle de petite porte. Bien moins haute et large que les portes standards. Le plafond de cet étage semblait d'ailleurs s'être affaissé.

« C'est une espèce d'entre-sol », remarqua Cindy vraiment intriguée.

Elle tenta d'ouvrir la petite porte. Mais en vain, elle était fermée à clé. Cela attisa la curiosité de Cindy.

« Vous êtes déjà venu ici ? », demanda-t-elle à Hector.

« Je n'ai jamais entendu parlé de cet endroit. Et même quand j'étais au service sécurité, je n'en ai jamais eu vent », répondit-il en tentant à son tour de pousser la porte.

« Vous seriez capable de la défoncer ? », interrogea Cindy.

« Je peux essayer », fit Hector qui se sentit soudain ragaillardi.

Alors qu'Hector Boayeau prenait du recul pour se projeter contre la petite porte, Hervé Yograin, se baissait pour sortir de l'ascenseur. Il avait rendez-vous avec Philippe Odevain à l'étage 6 et demi, l'étage inconnu, l'étage invisible, l'étage des secrets. Et l'étage, pensait-il, de son introduction dans l'univers du pouvoir et de la lumière.

Hector Boayeau va-t-il réussir à défoncer la porte sans se faire mal à l'épaule ?

Adam Longh va-t-il fumer son barreau de chaise sans tousser ?

Comment Philippe Odevain va-t-il assassiner Hervé Yograin ?

Que cache vraiment l'étage 6 et demi ?

Lucie Ferre a-t-elle d'autres morts sur la conscience ?

Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Roman-Feuilleton du lundi.

lundi 16 novembre 2009

Roman Cindy Manche au soleil - chapitre 9 : Cigare à toi !

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Ils n'avaient pas le choix. Ils devaient passer le pas, sortir de la cage d'escalier, affronter la réalité... Une fois arrivés sur le palier supérieur, Cindy Manche et Hector Boayeau se regardèrent avec angoisse. Ils étaient essoufflés et tremblaient un peu à l'idée de ce qui les attendait derrière la porte coupe-feu. Ils étaient au sixième étage. Un énorme chiffre noir barrait le mur. Alors que Cindy allait pousser la porte, Hector eut un léger vertige. Il n'avait plus l'habitude de grimper en courant des marches en béton. Cindy vit qu'il titubait. Elle eut soudain peur que son compagnon d'infortune s'écroule, terrassé par une malaise cardiaque. C'est qu'il ne devait pas être en grande forme à vivre dans les courants d'air et à se nourrir de ce qu'il trouvait... Elle lui proposa de s'asseoir pour reprendre son souffle et en profita, elle aussi, pour se ressourcer en comptant les pellicules du pauvre homme.

Hector Boayeau eut alors tout le loisir d’observer Cindy. Elle n'avait pas qu'un beau postérieur, elle avait aussi un joli minois, tout simple, sans prétention sous ses cheveux d'un drôle de blond. Oui, vraiment, elle n'était pas vilaine. Et surtout, elle avait l'air très gentil. Cela faisait si longtemps qu'il n'était pas resté assis un instant près d'une femme. Cela réveilla en lui quelques fantasmes qu'il pensait morts à tout jamais. Du temps, où il travaillait pour le service sécurité de La Société, il en avait vu des vertes et des pas mûres sur les caméras de surveillance. Déjà, à l'époque, le deuxième sous-sol était un lieu de rendez-vous apprécié. Avec ses collègues, ils s'étaient plus d'une fois rincés l'oeil. Il avait longtemps espéré que lui aussi, un jour, testerait le confort d'un capot de belle bagnole avec une collègue. Non pas qu'il n'aima pas sa femme. Juste parce qu'à force de mater les directeurs à califourchon sur de belles carrosseries, il se disait que cela valait sans doute le détour. Mais cela n'était jamais arrivé. Il eut un petit pincement au coeur et songea qu'il était peut-être temps de rattraper le temps perdu.

Surtout qu'il n'y avait étrangement aucune caméra de sécurité dans la cage d'escalier.

Adam Longh venait d'avoir le feu vert. Il avait le droit de monter au 13e étage, dans la salle du conseil d'administration. Il traversa le hall en respirant très fort. Il se sentait fort. Terriblement beau. Et vraiment intelligent. Il avait mis très peu de temps à atteindre son but : diriger La Société. Il faut dire qu'il avait été aidé par cette petite assistante au cul inoubliable et son histoire de méditation transcendante interurbaine. A travers le trou de la serrure du bureau de Bernard Cèlement, il avait vu combien elle s'était défendue avec intelligence. Elle ressemblait à une chèvre de Monsieur Seguin qui aurait finalement pris le dessus sur le loup. Il n'avait pas vraiment eu le temps de repenser à tout cela et de songer ce qu'il devait faire de cette information cruciale. Pour le moment, deux points occupaient l'ensemble de son cerveau : profiter au maximum de sa nomination et s'occuper ensuite d'Eva Kanss. Car, il était hors de question qu'une assistante fouine dans les affaires de La Société sous son règne. Dans l'ascenseur qui le conduisait au sommet, il se concentra sur ces deux éléments, ferma les yeux très fort jusqu'à voir apparaître une pluie de paillettes dorées.

Hervé Yograin saisit le porte-voix. Il aimait assez prendre la parole en public, lui qui avait pourtant choisi de travailler dans l'ombre. Avec le temps, il s'était rendu compte que l'envie d'entrer dans la lumière, de sortir de son le titillait de plus en plus fort. Ce fut donc avec une immense joie qu'il prit la parole devant la totalité des employés de La Société, contenue par un cordon de sécurité : « Nous vous demandons de ne pas réintégrer vos bureaux. Mes équipes doivent avant votre retour à vos postes de travail, faire quelques vérifications d'usage. Cependant, il est hors de question que vous quittiez les lieux car à tout moment nous risquons d'avoir besoin de vos témoignages. Il va donc vous falloir patienter ici en attendant d'autres recommandations de nos services. Nous savons que c'est assez désagréable en cette période automnale, nous allons donc passer parmi vous pour vous distribuer des couvertures de survie, idéales pour ceux qui seraient importunés par ce petit vent du nord qui souffle au pied de la tour. » Il avait dit cette dernière phrase avec quelques trémolos évoquant une forme de paternalisme. Il était trop souvent vu comme l'oeil de Moscou, le bras armé de la direction. Il avait, lui aussi, le droit de cultiver une image positive même si, évidemment, elle ne correspondait pas tout à fait à la réalité. D'ailleurs cette petite attention, cette couverture de survie n'était en fait qu'un excellent coup de communication. Tous ces draps argentés bien voyants étaient agrémentés d'un énorme sigle de La Société. Un excellent moyen pour assurer une visibilité maximum dans les médias. Sur les photos, à la télé, les employés seraient transformés en hommes-sandwichs. Bien moins cher et tout aussi efficace qu'une campagne d'affichage. Il n'avait pas eu cette idée formidable. Elle était signée Bertrand Carpube.

Ce directeur de la communication avait un incroyable sens de l'opportunisme. Et, en ces temps de crise, il avait un talent hors du commun pour utiliser toutes les possibilités gratuites -ou quasi gratuites- pour promouvoir La Société. Ainsi, il avait déterré ce vieux lot de couvertures de survie acheté des années plus tôt en vue d'un séminaire de teambuilding destiné au top management dans une forêt de Sologne mais qui, compte tenu des températures bien plus hautes que prévues, avait été totalement inutile. Plutôt que de les laisser croupir encore, Bertrand les avaient transformés en un clin d'oeil en support de promotion. Hervé Yograin admirait ce genre d'individu. Il apprenait beaucoup à leur contact - et en visionnant également les images des caméras qu'il planquait secrètement dans leur bureau.

Hervé Yograin aimait se former et s'informer. S'il était conscient des talents de Bertrand Carpube, il connaissait aussi son talon d'Achille -tout comme ceux de la plupart des dirigeants de La Société- : le Monsieur aimait bien se faire un petit rail de temps en temps. Et ses équipes carburaient à la même chose les soirs de charrette.

Adam Longh poussa la porte de la salle du conseil d'administration. D'abord, il ne vit rien d'autre que l'immense ville à travers la baie vitrée. Puis, il entendit les applaudissements. Il referma la porte derrière lui et savoura sa victoire. Il s'assit dans un gros fauteuil présidentiel, admira, posé sur l'immense table en wenge son nouveau contrat. Il hésita d'abord à le regarder mais, autorisé par un geste de la main de l'un des vieux sages assis à sa droite, feuilleta le document jusqu'au point qui l’intéressait par dessus tout : le montant de son salaire annuel, ses primes et intéressements, ses avantages en nature et tout ce qui viendrait améliorer son quotidien. Cela lui sembla très correct. Mais bien sûr, il renégocierait tout cela dans quelques mois. Son voisin tout ridé prit ensuite la parole.

« Adam Longh, tu succèdes officiellement à Bernard Cèlement, vingt troisième Président en titre. Nous le regretterons énormément car il a fait beaucoup de bien à nos actionnaires. Mais nous savons qu'il t'avait choisi. Il t'a formé, poussé. Et nous sommes sûrs que tu vas le dépasser. Nous te remettons les clés de son bureau présidentiel. »

« Longue vie au nouveau Président », soufflèrent les autres membres du Conseil.

Un homme encore plus vieux que le précédent se leva et s'approcha très lentement d'Adam Longh. Quand il fut à son niveau, il fouilla dans la poche intérieure de sa veste de costume. Il en sortit entre ses doigts griffus un énorme cigare.

« Il te reste encore une épreuve à passer, dit le vieillard. Tu dois fumer ce cigare, devant nous, jusqu'au bout, sans tousser une seule fois. Alors, tu seras vraiment digne de confiance. »

Adam Longh sentit son ventre se serrer. Il ne s'était pas attendu à ça. A une interrogation sur les résultats de La Société pendant les 20 dernières années, un exposé sur les dividendes et la manière de les booster. Mais l'épreuve du cigare, il ne s'y était pas attendu. Il avait entendu parler de cette pratique, elle était même évoquée dans de nombreux manuels de management, mais il avait toujours pensé qu'il s'agissait d'un mythe. Il n'en revenait pas : il venait d'entrer dans l'histoire du grand capitalisme.

Cindy vit tout de suite qu'Hector Boayeau n’était pas à l’agonie. Une bosse honorable sous son pantalon laissait imaginer qu'il était même encore très vif.

« J'espère que vous n'avez pas d'idées déplacées Monsieur Boayeau, dit-elle. Je vous préviens, je suis tout à fait apte à me défendre. D'ailleurs, si Bernard Cèlement ne m'avait pas énervée, il serait toujours en vie. »

Hector Boayeau va-t-il se montrer raisonnable ?

Adam Longh réussira-t-il l'épreuve du gros cigare ?

Cindy Manche va-t-elle réussir à quitter la cage d'escalier ?

Mais où sont donc passées Amélie Berthé et Lucie Ferre ?

Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Roman Feuilleton du Lundi.

lundi 9 novembre 2009

Roman Cindy Manche au soleil - chapitre 8 : Des médias pas vraiment médiums

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Il n'avait fallu que quelques secondes aux agences de presse, radios, télévisions, sites d'infos en ligne et autres médias pour reprendre la nouvelle : un patron de grande entreprise avait mis fin à ses jours sous la pression de ses salariés. Il ne fallut pas plus de temps pour que des équipes armées de micros et de caméras viennent envahir le parvis de la tour. D'intrépides journalistes s'approchèrent des employés responsables de la mort de leur patron pour les interroger sur leur attitude. Etaient-ils conscients de la gravité de leur comportement, de l'impact de leur attitude revendicatrice, systématiquement opposée au patronat ?

La belle allure d'Eva Kanss attira une nuée de reporters curieux. A l'écran, elle serait impeccable : elle était l'incarnation idéale de la beauté venimeuse. Eva Kanss fut flattée de tant d'attentions. Oui, elle allait répondre à leurs questions, évidemment, elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour éclairer leur lanterne, bien sûr, elle pouvait témoigner...
« Connaissiez-vous personnellement Bernard Cèlement ? », entonnèrent en choeur la cohorte des investigateurs.
« Pas vraiment, comme tous les patrons, Bernard Cèlement préférait rester dans son bureau du 13e étage. Mais, il savait se montrer au bon moment : discours des voeux, annonce de plan de sauvegarde de l'emploi... »
« Cela vous choquait ? », coupèrent les enquêteurs.
« Pas plus que ça, les patrons agissent tous ainsi. »
Eva Kanss aurait dû tourner sept fois sa langue dans sa bouche. La prise était parfaite, dans la boîte pour les journaux de 20 h. Ce soir Eva Kanss serait le symbole de l'incompréhension des employés face aux problèmes de leurs patrons.

Adam Longh observait de loin Eva Kanss tout en écoutant dans son oreillette la voix de Philippe Odevain lui narrant en direct les retombées formidables de son opération-suicide qui, à la demande du conseil d'administration et pour plus de discrétion avait été baptisée du nom de code France Mélacom. Philippe Odevain s'interrogeait d'ailleurs sur le pourquoi du comment de ce code. Il avait été choisi, disait-on, en souvenir d'une grosse entreprise aujourd'hui disparue et qui avait longtemps tenté des expériences managériales inédites. Adam Longh fut soudain las d'entendre l'imprécation du conseiller de l'ombre. Il avait du pain sur la planche, lui. Il devait prendre le pouvoir officiellement et surtout écrabouiller Eva Kanss avant qu'elle n'engendre le chaos en cherchant à comprendre des choses qu'elle devait seulement ignorer...

Alors que toutes les horloges des ordinateurs de La Société marquaient 12 h, Cindy Manche saisit le pénis recouvert de graines germées et tout juste échappé de la boîte bento. Devant les yeux horrifiés du pauvre Hector Boayeau qui décida une fois pour toute d'en finir avec la bouteille, elle sortit un mouchoir en papier de sa poche et essuya le membre abandonné.
« C'est sans doute, le sexe d'Armand Bitieux », dit-elle à voix haute.
« Le sexe d'Armand Bitieux ? Interrogea Hector. Mais comment le savez-vous ? »
Devant l'air effaré du clochard, son teint brusquement livide et son ton vraiment surpris, Cindy décida qu'elle devait suivre son instinct et faire confiance à ce pauvre homme. Elle avait bien besoin d'un allié.
« Je le sais car j'ai vu le corps inanimé d'Armand Bitieux au deuxième sous-sol. Non seulement, il était mort et bien mort mais l'état de son slip laissait penser qu'il avait été privé de sa virilité. »
Hector Boayeau avait certes le cerveau usé par des années d'abus d'alcools divers et variés mais il fit immédiatement le rapport entre le cadavre caché dans le rouleau de moquette et l'histoire de cette femme à l'inoubliable postérieur.
« Je crois savoir où se trouve à présent le corps d'Armand Bitieux », dit doucement Hector.
Cindy s'approcha de son nouvel ami. Elle avait fait le bon choix en misant sur ce pauvre homme et se sentait totalement indestructible. Sa méthode de méditation transcendantale interurbaine avait, une fois de plus, fait ses preuves. Et, si elle avait un petit coup de mou, elle pourrait se replonger dans la numération des pellicules peuplant les épaules de son compagnon d'infortune.
« Avant que vous m'en disiez plus, je crois qu'il serait bon de nous présenter. Je pense que nous allons devoir passer un bout de temps ensemble. Je m'appelle Cindy Manche. Je suis, disons plutôt vue la situation, que j'étais, assistante du directeur du service comptabilité de La Société, Armand Bitieux. »
« Enchanté, répondit Hector Boayeau qui voyait dans cette rencontre le moyen de mettre un peu de piment dans un quotidien devenu bien terne. Mon nom est Hector Boayeau, je vis ici depuis que La Société m'a licencié de manière très brutale provoquant dans ma vie un tsunami économico-amoureux. Je croyais que l'on me tolérait ici par pure bonté d'âme mais je pense, qu'en fait, les services de sécurité me gardaient sous le coude au cas où... Et le cas où est venu. »

Hector Boayeau ne croyait pas si bien dire. Au moment même où il prononçait cette phrase à valeur de prophétie, Hervé Yograin, décidait de gérer de front le rapatriement du corps raplapla de Bernard Cèlement vers un lieu plus tranquille et la découverte du corps d'Armand Bitieux dans une poubelle. Il valait mieux, à ses yeux, utiliser le chaos provoqué par la chute du Président pour livrer en pâture aux médias le cadavre castré de Bitieux. Il en avait, bien sûr, touché un mot à Philippe Odevain. Sa stratégie était simple : amplifier le scandale de la pression exercée par les salariés sur le patronat par la découverte de ce crime crapuleux sans doute commis par un ancien employé déçu. La Société deviendrait alors l'emblème de la souffrance des dirigeants. Un contexte idéal pour lancer une petite chasse aux sorcières. Grâce à cette crise, il serait plus aisé de dégraisser sans avoir à se justifier.

Philippe Odevain avait félicité le chef de la sécurité. Il parlerait de lui en haut lieu. Il le lui avait promis. En ces temps de changements, il allait y avoir des opportunités pour les hommes rusés de son genre. C'était, bien entendu, le discours officiel du conseiller. Car Odevain se méfiait de tout le monde et particulièrement des types comme Yograin toujours prompts à s'immiscer dans les affaires plus ou moins secrètes, au courant de tous les mouvements de La Société et derrière de nombreux actes scabreux. Au fond de lui, il était persuadé qu'il fallait se débarrasser d'Hervé Yograin et de son acolyte Filipo Lisse. Il avait d'ailleurs déjà en tête un plan pour en finir avec ce type. Il allait le prendre à son propre piège. Après tout, Hervé Yograin était l'assassin idéal d'Armand Bitieux. Il avait toutes sortes de mobiles notamment la jalousie : le chef de la sécurité était, en effet, bien connu pour ses échecs amoureux alors qu'Armand Bitieux tombait les assistantes les unes après les autres... Il nota dans son Blackberry. « Yograin end over » afin de ne pas oublier de régler cette affaire au plus vite. Et puis, il avait un homme de confiance à placer, son vieux copain qui lui avait si souvent rendu service, Enrico Micion. Son fidèle ami était un excellent second couteau et ferait un parfait espion à sa solde dans La Société. Alors qu'il était tout à sa réflexion, il reçut un message urgent. Le conseil d'administration avait décidé de réquisitionner la cantine pour exposer le corps -bientôt embaumé par les plus grands spécialistes- de Bernard Cèlement. Les salariés pourraient ainsi faire amende honorable devant la dépouille et expier leurs péchés. Adam Longh avait déjà mandaté Nasser Virlasoupeux pour organiser un parcours de la mémoire dans le réfectoire.

Bien au-dessus de tout ça, Cindy et Hector essayaient de trouver une solution pour quitter discrètement La Société.
Cindy car elle craignait de devoir rendre des comptes sur la défénestration du Président voire sur son rendez-vous souterrain avec Armand Bitieux.
Hector car il craignait d'être le coupable idéal d'un directeur de service comptable. Et, il y avait toujours, en plus, un pénis sectionné au milieu de tout ça.
Cindy, boosté par sa méditation prit le taureau par les cornes. : « Allez debout, grimpons encore un étage et voyons si nous ne pouvons pas passer à un coup de fil à la presse pour raconter notre histoire et trouver des alliés. Entre votre expérience et la mienne, on devrait avoir du succès. »
« Et cette chose ? » fit Hector en pointant son index sur le zizi qui avait pris une drôle de teinte brune.
Cindy l'enroula dans son mouchoir en papier et le glissa dans sa poche. Avant de quitter les lieux, Hector prit soin de ramasser la salade éparpillée sur les marches, de la remettre dans la boîte bento, de fixer le couvercle et de glisser la chose dans sa poche. C'est alors que, sous le tissu, la gamelle heurta le Backberry dérobé sur le cadavre du Président... Devait-il en parler à Cindy. Il décida, pour le moment, de la suivre sagement, hypnotisé par son sublime postérieur qui bougeait joliment au rythme de son ascension vers l'étage supérieur.



Philippe Odevain va-t-il vraiment avoir la peau d'Hervé Yograin ?
Eva Kanss sera-t-elle sacrifiée sur l'autel médiatique de la défense du patronat ?
Combien de temps Cindy Manche va-t-elle se sentir invincible ?
Hector Boayeau est-il totalement inoffensif ?
Mais qui donc a tué Armand Bitieux ? Ca fait quand même un bout de temps que cette affaire est en suspend !
Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Roman-feuilleton du lundi.

lundi 2 novembre 2009

Roman Cindy Manche au soleil - Chapitre 7 : Patron mais pas trop

Si vous n'avez pas lu les épisodes précédents, découvrez les dans la colonne de droite

Cindy Manche en entrant en collision avec Hector Boayeau poussa un hurlement strident. Elle avait beau avoir opté pour une attitude zen, le déroulement de la matinée l'avait poussée à bout. Des propositions malhonnêtes, un crime au deuxième sous-sol, un enlèvement, la défenestration d'un Président et, maintenant, un accident d'escalier. Cela faisait beaucoup pour une assistante jusqu'alors sans histoire.

Elle ne laissa donc pas longtemps son postérieur sur le nez de l'homme qu'elle venait de heurter violemment. Elle se leva d'un bond, prête à riposter, certaine que sous ses fessiers, se trouvait un bras armé de Hervé Yograin, prêt à tout pour se débarrasser d'elle. Elle fut donc très surprise en se redressant de voir le visage du clochard qui campait quotidiennement au pied de la tour. De nombreuses histoires circulaient sur son compte. La rumeur la plus crédible était qu'il s'agissait d'un ancien salarié de La Société, licencié abusivement, et venu se venger en s'installant devant le siège. Avec le temps, tout le monde s'était habitué à sa présence : elle se souvenait même lui avoir régulièrement jeté quelques pièces. Il la regardait avec des yeux de chien battu, complètement sonné et l'air vraiment perdu.

Un instant -et car depuis son arrivée ce matin, elle avait compris que tout était possible dans ce bâtiment, oui, elle apprenait vite-, elle songea que l'homme était peut-être un agent de sécurité à la solde de Hervé Yograin, posté à l'entrée des bureaux, déguisé en sans domicile fixe, dans le but de gagner la confiance des employés et d’espionner leurs allers et venus. Elle décida donc, malgré l'affection qu'elle avait spontanément pour cet homme, de se méfier. Son coeur battait la chamade. Elle ne savait pas vraiment comment agir.

Heureusement, en inspectant l'individu encore vautré sur les marches, elle découvrit sur son pauvre pull élimé, des centaines de petites peaux blanches... Des pellicules, enfin ! L'occasion idéale pour mettre en pratique ses théories de méditation transcendantale interurbaine. Elle allait pouvoir se renconcentrer, remettre ses chakras sur une voie plus sereine, se retrouver, renouer avec son vrai moi. Bref faire le point. Avec une agilité cérébrale à nulle autre pareille, elle se mit à compter les vieilles peaux mortes. Au bout de vingt, elle se sentait déjà beaucoup mieux. Arrivée à cinquante, elle était une femme forte. Et c'est en comptabilisant la centième qu'elle se sentit invincible. Et il en restait encore un sacré paquet à dénombrer... Cependant, elle s'arrêta là. Car jamais auparavant, et malgré un entraînement intensif, elle n'avait ressenti cette impression de plénitude absolue. C'était une nouvelle révélation : sa méthode était non seulement efficace en terme d 'épanouissement personnel et de management mais aussi idéale pour gérer les crises les plus rudes. Cela signifiait que le potentiel de sa méthode était immense, notamment en cas d'attaque terroriste, de guerre et autre apocalypse. Il fallait qu'elle contacte au plus vite la sécurité nationale, le ministère de la défense voire le président de la république pour lui vendre son programme. Encore du pain sur la planche ! Mais, dans l'immédiat, elle devait prendre son problème à bras le corps : découvrir la véritable mission de ce clochard.

Alors que Cindy était en pleine renaissance, Eva Kanss avait suivi le flot de salariés affolés ou attirés par le sang, elle se trouvait maintenant à quelques mètres du corps raplapla de Bernard Cèlement. Hervé Yograin avait sécurisé la zone de l'accident. Mais malgré le cordon, on pouvait clairement voir le cadavre aplati sur le bitume. Eva Kanss se demandait si l'entre-jambe du Président était au complet. Malheureusement, compte tenu de sa position, du mouvement de la foule qui commençait à s'exciter, des rondes des agents de sécurité, il lui était impossible de tirer des conclusions à ce sujet. Ceci dit, cet accident lui permettait d'échaffauder de nouvelles hypothèses. Quelqu'un de mal intentionné avait pu, dans un moment d'égarement, sectionner le sexe de Bernard Cèlement et ce dernier, aveuglé par la douleur s'était d'abord trainé dans son bureau, cherchant de l'aide mais souffrant trop pour avoir l'énergie de hurler, puis, à bout de forces, perdu, avait traversé la baie vitrée de son bureau en tentant de s'échapper. Le coupeur de queue avait eu le temps de prendre l'ascenseur et de déposer dans la première gamelle en vue, le morceau de virilité découpé. Cela tenait la route.

Eva Kanns, perdue dans son échaffaudage d'hypothèse ne remarqua pas le regard inquisiteur d'Adam Longh qui faisait à cet instant même son entrée sur les lieux de l'incident. Grace aux précieux renseignements transmis via son Blackberry, il avait pu repérer en quelques secondes Eva Kanss. Et le regard concentré qu'il surprit lui fit présager du pire : cette fille mijotait bien quelque chose. Pour le moment, il avait d'autres chats à fouetter. Dans son oreillette, Philippe Odevain, conseiller spécial et secret de La Société, lui soufflait la stratégie de crise adoptée en urgence avec l'accord du conseil d'administration. Pour éviter toute enquête extérieure et utiliser au mieux ce malheureux accident, il avait suggéré de maquiller le vol plané en suicide. Il avait ainsi, écrit un sublime mot d'adieux. Car, en plus d'être conseiller de crise, il savait à merveille imiter toutes sortes d'écritures. Et ce don, qu'il avait entretenu et même développé avec soin, lui valait d'être courtisé par de nombreuses entreprises et structures ayant besoin de modifier en urgence d'importants contrats ou des lettres cruciales sans laisser de traces... ll avait bien d'autres talents qui lui avaient permis de se faire une belle réputation dans de nombreux milieux très différents. Mais à ce moment là, précisément, il était à 100 % avec La Société et il avait composé une prose qui aurait arraché des larmes à un guerilleros sud américain, un affranchi sicilien, un dictateur africain, un parrain russe et même à un patron du CAC40.

Son idée était tout simplement géniale ! Dans son message d'adieu, Bernard Cèlement expliquait son acte en mettant en avant la pression exercée par les salariés sur sa personne : demandes incessantes d'augmentations de salaires, insurrections lors de licenciements massifs, montée au créneau des syndicats lors d'annonces de gel des primes. Lui qui, comme l'ensemble des Présidents d'entreprises, pensait au développement de sa structure tout en prenant en compte l'épanouissement de ses équipes, n'en pouvait tout simplement plus de ces tensions sociales. Et comme un acte symbolique, au nom de tous les Présidents harcelés par leurs salariés follement exigeants, pour mettre fins à ces pressions, il avait décidé d'en finir.

Tandis qu'Adam Longh répétait, mégaphone à la main , à la foule des salariés, les mots que lui soufflait Philippe Odevain dans son oreillette, la lettre de Bernard Cèlement était photocopiée à des milliers d'exemplaires, adressée par mails et courriers et accompagnée d'un dossier sur l'urgence de sauver les Présidents, à l'ensemble des médias. La campagne de sensibilisation à la situation catastrophique du patronat était en marche. Philippe Odevain venait de faire un sacré coup !

Dans l'escalier bien insonorisé, Cindy Manche et Hector Boayeau se regardaient en chien de faïence. Jusqu'à ce que les yeux de Cindy soient attirés par une boîte bento renversée quelques marches plus bas. Elle reconnut immédiatement la gamelle de sa collègue de bureau Eva Kanss. Que venait faire cette chose ici ?

« C'est vous qui avait transporté ça ? », demanda Cindy à Hector.

L'homme fut pris au dépourvu, il n'était pas dans ses habitudes de voler. Mais le choc de la découverte du corps dans la poubelle et sa fuite dans la tour l'avaient complètement chamboulé. Poussé par l'instinct de survie qui finalement le caractérisait, il avait piqué le casse-croûte en vue d'une planque ou de toute autre événement l'obligeant à rester caché. Il avoua donc son crime d'un mouvement de tête.

« Cette boîte est à vous ? »

« Non, fit-il tout doucement. Je l'ai prise dans l'un des bureaux désertés. Si elle vous appartient, ne m'en veuillez pas. J'ai été pris d'un moment de folie. Je suis complètement désorienté. Elle a encore l'air en bon état. »

Sous l'oeil attentif de Cindy, il se pencha pour attraper la boîte et la lui rendre mais alors qu'il allait la saisir, le couvercle fragilisé par la chute se détacha et le sexe couvert de graines germées dégringola...


Cindy Manche va-t-elle réussir à reconstituer le puzzle du sexe sectionné ?

La vue du pénis faisandé va-t-elle faire basculer Hector Boayeau dans la folie et le cannibalisme ?

Les médias vont-ils mordre à l'hameçon de Philippe Odevain ?

Eva Kanss va-t-elle enfin arriver à échafauder une hypothèse qui tienne

la route ?

Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Roman-Feuilleton du lundi.

 
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