lundi 16 novembre 2009

Roman Cindy Manche au soleil - chapitre 9 : Cigare à toi !

Si vous n'avez pas lu les épisodes précédents, découvrez les dans la colonne de droite

Ils n'avaient pas le choix. Ils devaient passer le pas, sortir de la cage d'escalier, affronter la réalité... Une fois arrivés sur le palier supérieur, Cindy Manche et Hector Boayeau se regardèrent avec angoisse. Ils étaient essoufflés et tremblaient un peu à l'idée de ce qui les attendait derrière la porte coupe-feu. Ils étaient au sixième étage. Un énorme chiffre noir barrait le mur. Alors que Cindy allait pousser la porte, Hector eut un léger vertige. Il n'avait plus l'habitude de grimper en courant des marches en béton. Cindy vit qu'il titubait. Elle eut soudain peur que son compagnon d'infortune s'écroule, terrassé par une malaise cardiaque. C'est qu'il ne devait pas être en grande forme à vivre dans les courants d'air et à se nourrir de ce qu'il trouvait... Elle lui proposa de s'asseoir pour reprendre son souffle et en profita, elle aussi, pour se ressourcer en comptant les pellicules du pauvre homme.

Hector Boayeau eut alors tout le loisir d’observer Cindy. Elle n'avait pas qu'un beau postérieur, elle avait aussi un joli minois, tout simple, sans prétention sous ses cheveux d'un drôle de blond. Oui, vraiment, elle n'était pas vilaine. Et surtout, elle avait l'air très gentil. Cela faisait si longtemps qu'il n'était pas resté assis un instant près d'une femme. Cela réveilla en lui quelques fantasmes qu'il pensait morts à tout jamais. Du temps, où il travaillait pour le service sécurité de La Société, il en avait vu des vertes et des pas mûres sur les caméras de surveillance. Déjà, à l'époque, le deuxième sous-sol était un lieu de rendez-vous apprécié. Avec ses collègues, ils s'étaient plus d'une fois rincés l'oeil. Il avait longtemps espéré que lui aussi, un jour, testerait le confort d'un capot de belle bagnole avec une collègue. Non pas qu'il n'aima pas sa femme. Juste parce qu'à force de mater les directeurs à califourchon sur de belles carrosseries, il se disait que cela valait sans doute le détour. Mais cela n'était jamais arrivé. Il eut un petit pincement au coeur et songea qu'il était peut-être temps de rattraper le temps perdu.

Surtout qu'il n'y avait étrangement aucune caméra de sécurité dans la cage d'escalier.

Adam Longh venait d'avoir le feu vert. Il avait le droit de monter au 13e étage, dans la salle du conseil d'administration. Il traversa le hall en respirant très fort. Il se sentait fort. Terriblement beau. Et vraiment intelligent. Il avait mis très peu de temps à atteindre son but : diriger La Société. Il faut dire qu'il avait été aidé par cette petite assistante au cul inoubliable et son histoire de méditation transcendante interurbaine. A travers le trou de la serrure du bureau de Bernard Cèlement, il avait vu combien elle s'était défendue avec intelligence. Elle ressemblait à une chèvre de Monsieur Seguin qui aurait finalement pris le dessus sur le loup. Il n'avait pas vraiment eu le temps de repenser à tout cela et de songer ce qu'il devait faire de cette information cruciale. Pour le moment, deux points occupaient l'ensemble de son cerveau : profiter au maximum de sa nomination et s'occuper ensuite d'Eva Kanss. Car, il était hors de question qu'une assistante fouine dans les affaires de La Société sous son règne. Dans l'ascenseur qui le conduisait au sommet, il se concentra sur ces deux éléments, ferma les yeux très fort jusqu'à voir apparaître une pluie de paillettes dorées.

Hervé Yograin saisit le porte-voix. Il aimait assez prendre la parole en public, lui qui avait pourtant choisi de travailler dans l'ombre. Avec le temps, il s'était rendu compte que l'envie d'entrer dans la lumière, de sortir de son le titillait de plus en plus fort. Ce fut donc avec une immense joie qu'il prit la parole devant la totalité des employés de La Société, contenue par un cordon de sécurité : « Nous vous demandons de ne pas réintégrer vos bureaux. Mes équipes doivent avant votre retour à vos postes de travail, faire quelques vérifications d'usage. Cependant, il est hors de question que vous quittiez les lieux car à tout moment nous risquons d'avoir besoin de vos témoignages. Il va donc vous falloir patienter ici en attendant d'autres recommandations de nos services. Nous savons que c'est assez désagréable en cette période automnale, nous allons donc passer parmi vous pour vous distribuer des couvertures de survie, idéales pour ceux qui seraient importunés par ce petit vent du nord qui souffle au pied de la tour. » Il avait dit cette dernière phrase avec quelques trémolos évoquant une forme de paternalisme. Il était trop souvent vu comme l'oeil de Moscou, le bras armé de la direction. Il avait, lui aussi, le droit de cultiver une image positive même si, évidemment, elle ne correspondait pas tout à fait à la réalité. D'ailleurs cette petite attention, cette couverture de survie n'était en fait qu'un excellent coup de communication. Tous ces draps argentés bien voyants étaient agrémentés d'un énorme sigle de La Société. Un excellent moyen pour assurer une visibilité maximum dans les médias. Sur les photos, à la télé, les employés seraient transformés en hommes-sandwichs. Bien moins cher et tout aussi efficace qu'une campagne d'affichage. Il n'avait pas eu cette idée formidable. Elle était signée Bertrand Carpube.

Ce directeur de la communication avait un incroyable sens de l'opportunisme. Et, en ces temps de crise, il avait un talent hors du commun pour utiliser toutes les possibilités gratuites -ou quasi gratuites- pour promouvoir La Société. Ainsi, il avait déterré ce vieux lot de couvertures de survie acheté des années plus tôt en vue d'un séminaire de teambuilding destiné au top management dans une forêt de Sologne mais qui, compte tenu des températures bien plus hautes que prévues, avait été totalement inutile. Plutôt que de les laisser croupir encore, Bertrand les avaient transformés en un clin d'oeil en support de promotion. Hervé Yograin admirait ce genre d'individu. Il apprenait beaucoup à leur contact - et en visionnant également les images des caméras qu'il planquait secrètement dans leur bureau.

Hervé Yograin aimait se former et s'informer. S'il était conscient des talents de Bertrand Carpube, il connaissait aussi son talon d'Achille -tout comme ceux de la plupart des dirigeants de La Société- : le Monsieur aimait bien se faire un petit rail de temps en temps. Et ses équipes carburaient à la même chose les soirs de charrette.

Adam Longh poussa la porte de la salle du conseil d'administration. D'abord, il ne vit rien d'autre que l'immense ville à travers la baie vitrée. Puis, il entendit les applaudissements. Il referma la porte derrière lui et savoura sa victoire. Il s'assit dans un gros fauteuil présidentiel, admira, posé sur l'immense table en wenge son nouveau contrat. Il hésita d'abord à le regarder mais, autorisé par un geste de la main de l'un des vieux sages assis à sa droite, feuilleta le document jusqu'au point qui l’intéressait par dessus tout : le montant de son salaire annuel, ses primes et intéressements, ses avantages en nature et tout ce qui viendrait améliorer son quotidien. Cela lui sembla très correct. Mais bien sûr, il renégocierait tout cela dans quelques mois. Son voisin tout ridé prit ensuite la parole.

« Adam Longh, tu succèdes officiellement à Bernard Cèlement, vingt troisième Président en titre. Nous le regretterons énormément car il a fait beaucoup de bien à nos actionnaires. Mais nous savons qu'il t'avait choisi. Il t'a formé, poussé. Et nous sommes sûrs que tu vas le dépasser. Nous te remettons les clés de son bureau présidentiel. »

« Longue vie au nouveau Président », soufflèrent les autres membres du Conseil.

Un homme encore plus vieux que le précédent se leva et s'approcha très lentement d'Adam Longh. Quand il fut à son niveau, il fouilla dans la poche intérieure de sa veste de costume. Il en sortit entre ses doigts griffus un énorme cigare.

« Il te reste encore une épreuve à passer, dit le vieillard. Tu dois fumer ce cigare, devant nous, jusqu'au bout, sans tousser une seule fois. Alors, tu seras vraiment digne de confiance. »

Adam Longh sentit son ventre se serrer. Il ne s'était pas attendu à ça. A une interrogation sur les résultats de La Société pendant les 20 dernières années, un exposé sur les dividendes et la manière de les booster. Mais l'épreuve du cigare, il ne s'y était pas attendu. Il avait entendu parler de cette pratique, elle était même évoquée dans de nombreux manuels de management, mais il avait toujours pensé qu'il s'agissait d'un mythe. Il n'en revenait pas : il venait d'entrer dans l'histoire du grand capitalisme.

Cindy vit tout de suite qu'Hector Boayeau n’était pas à l’agonie. Une bosse honorable sous son pantalon laissait imaginer qu'il était même encore très vif.

« J'espère que vous n'avez pas d'idées déplacées Monsieur Boayeau, dit-elle. Je vous préviens, je suis tout à fait apte à me défendre. D'ailleurs, si Bernard Cèlement ne m'avait pas énervée, il serait toujours en vie. »

Hector Boayeau va-t-il se montrer raisonnable ?

Adam Longh réussira-t-il l'épreuve du gros cigare ?

Cindy Manche va-t-elle réussir à quitter la cage d'escalier ?

Mais où sont donc passées Amélie Berthé et Lucie Ferre ?

Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Roman Feuilleton du Lundi.

2 commentaires:

  1. so,pour les personnages que nous sommes, nous lecteurs, la question fatale s'énonce comme suit : les lecteurs réussiront ils à tenir sans nouvelles de la Société jusqu'à Lundi prochain ?
    surviront ils à leur quotidien ?

    la suite au prochain épisode....

    RépondreSupprimer

 
compteur pour blog