lundi 23 novembre 2009

Cindy Manche au soleil - Chapitre 10 : A feu et Adam...

Si vous n'avez pas lu les épisodes précédents, découvrez les dans la colonne de droite

Lucie Ferre regardait abasourdie la foule des employés s'enroulant dans des couvertures de survie. La scène lui semblait surréaliste. Elle avait accepté le drap argenté offert par un employé du service communication. Et, comme les autres, elle l'avait posé sur ses épaules. Mais, au fond d'elle, elle ressentait une immense humiliation. Par les temps qui couraient mieux valait faire profil bas et exécuter sans discuter les ordres de la direction. Elle avait absolument besoin de son boulot. Son mari était mort quelques années auparavant, et elle devait assumer seule, le remboursement des traites de leur pavillon de banlieue.

Certes, la mort de son mari, avait été une délivrance, qu'elle avait d'ailleurs un peu provoquée. En fermant les yeux, elle revoyait nettement ce soir d'hiver, où, une fois de plus bourré, son époux alcoolique et violent avait providentiellement glissé dans l'escalier, dégringolant à toute vitesse, tête en avant, pour finir la nuque brisée sur le paillasson. Ce jour-là, elle avait méticuleusement nettoyé chaque marche mélangeant à la cire un peu d'eau savonneuse. Cela faisait plusieurs semaines qu'elle frottait vigoureusement le bois espérant qu'il deviendrait aussi glissant qu'une savonnette sur le bord d'un lavabo. Et son travail, son grand ménage avait enfin porté ses fruits. Le SAMU avait, rien qu'à l'odeur du corps, constaté que son époux était plus qu'éméché et l'accident n'avait jamais été remis en cause.

« Enfin tranquille », avait-elle songé, son mari à peine expédié à la morgue. Plus de colère, de reproches, d'engueulades... Juste le silence, le bruit des feuilles dans le vent qui traversait les fenêtres ouvertes. Bien sûr, elle avait après ce décès, découvert que son mari n'avait pas pris soin de prendre une assurance sur sa tête en cas de mort et que du coup, elle devait assumer les remboursements du pavillon et que les caisses du couple étaient vides. Mais, elle s'en fichait bien. Elle avait un salaire convenable dans La Société, elle n'aspirait qu'à rester dans sa maison avec ce petit jardin où l'on pouvait enterrer plein de choses...

Quand Lucie Ferre rouvrit les yeux, elle vit Eva Kanss se recoiffer du bout des doigts. Elle l'avait observée déblatérant devant les caméras. Elle espéra très fort que son mail de dénonciation allait porter ses fruits. Que cette fille qui se prenait vraiment pour une princesse, remuait ses fesses sans cesse, se repoudrait le nez à tout va au lieu de travailler et attirait tous les regards, allait vite disparaître de l'openspace. Elle en avait vu d'autres, des comme ça, des filles qui se croient tout permis parce qu'elles ont belle allure. Elles n'avaient pas fait long feu. Lucie savait y faire pour évincer ses congénères un peu trop envahissantes. Le travail n'avait plus de valeur dans La Société. Il fallait maintenant être sublime pour être reconnue. Son coeur se pinça. Les choses ne tournaient pas toujours comme on l'aurait souhaité. Elle en savait quelque chose, elle qui trimait tant et n'avait reçu, en échange que de l'indifférence.

Tandis que la foule des employés se transformait paisiblement en panneau publicitaire géant, Adam Longh, glissait entre ses lèvres un énorme cigare. Il devait passer l'ultime épreuve avant d'être totalement intronisé par le Conseil d'administration : fumer jusqu'au bout ce cigare sans tousser. La fumée, très vite forma un nuage autour de son visage. Il fallait absolument qu'il aille au bout de ce barreau de chaise. Tout son esprit se concentra sur ce challenge. Il se laissa aller, en fixant les vieux sages qui l'entouraient, attentifs à sa prestation.

L'intérieur de la tour était très calme. Philippe Odevain se promenait d'étages en étages profitant du silence des bureaux. Dans une main, il tenait son Blackberry, dans l'autre un talky walky le reliant directement à Hervé Yograin. Il s'amusait comme un enfant en empruntant les ascenseurs désertés. Débarquant dans des openspaces vides, fouillant dans les sacs abandonnés, piquant, par jeu, un portefeuille par ci, un paquet de chewing-gums par là... il y avait un côté fin du monde. Et il se sentait comme le roi de cet univers. Adam Longh était là-haut face au conseil. Les employés étaient en bas surveillés et tenus à distance. Et lui, était là, au milieu, évoluant comme bon lui semblait, le seul individu, libre de ses gestes. Le conseiller de l'ombre avait réussi, grâce à ses subtiles stratégies, à tenir l'ensemble de La Société entre ses doigts. Mais avant de se sentir totalement libre, il lui fallait en finir avec Hervé Yograin, le chef de la sécurité en savait trop, contrôlait trop de réseaux, avait accès à trop d'informations... L'individu était bien trop dangereux, et il fallait s'en débarrasser. L'urgence de la situation lui sembla évidente. C'était le moment où jamais. Un cadavre de plus ne surprendrait personne, serait aisément exploitable dans son plan média, confortant le message qu'il souhaitait faire passer sur la dangerosité, aujourd'hui, de vouloir faire évoluer positivement une entreprise créatrice d'emplois, génératrices de profits indispensables à tous. Après la mort du Président, celle du chef de la sécurité ne surprendrait personne. C'était le moment. Il appela Yograin dans son talky walky. « Rendez-vous où vous savez », souffla-t-il dans la machine.

Le coeur d'Hervé Yograin se mit à battre très fort. Philippe Odevain, le grand conseiller, l'homme qui dirigeait finalement dans l'ombre, La Société, lui donnait enfin rendez-vous. Il avait attendu ce moment toute sa vie. Il n'en doutait pas. Après ces années de fidélité à la direction, d'efficacité et d'inventivité en matière de contrôle des salariés, de surveillance des masses et de maintien de la sécurité, il allait enfin être récompensé, promu, reconnu, projeté dans la lumière. Le grand jour était enfin arrivé.

Hector Boayeau n'était pas très à l'aise. Cindy Manche avait découvert son incontrôlable trique. Il avait un instant songé à lui sauter dessus. Après tout, ils étaient seuls dans cet escalier, peut-être même dans cette tour. Et tout était possible. Mais, la dame, malgré ses airs de rien, n'était pas décidée à se laisser faire. Il était même évident qu'elle se défendrait. Et visiblement, elle en avait déjà maté plus d'un. De toute évidence, elle avait même dompté Bernard Cèlement et peut-être était-elle responsable de son atterrissage non contrôlé sur le parvis.

Tandis qu'il baissait les yeux sur son entrejambe encore vaillant, Cindy lui déclara tout de go : « N'essayez même pas d'y penser. J'ai déjà balancé, par le fenêtre un Président, je peux sans aucun problème faire rouler sur des marches en béton, un clochard dont personne n'a rien à faire. »

Hector Boayeau fut blessé par cette remarque et fixant l'assistante, il lui déclara sûr de lui : « Je ne suis pas un clochard dont personne n'a rien à faire. Je vous rappelle que je suis le coupable idéal. Celui sur le dos de qui on va mettre le meurtre d'Armand Bitieux et peut-être votre crime. Alors, autant dire, qu'aujourd'hui, j'ai un rôle crucial. Sans doute bien plus important que le vôtre, pauvre petite assistante ! »

Oh mais, c'est que Cindy n'allait pas se laisser faire par ce déchet humain : « Pauvre petite assistante ? On voit que vous êtes déconnecté de toute réalité. Sachez Monsieur l'exclu, que je suis la créatrice de la méditation transcendantale interurbaine, une méthode de gestion du stress révolutionnaire que bien des dirigeants, dont ceux de cette Société, aimeraient s'approprier ! »

Tandis que Cindy et Hector échangeaient des propos enflammés dans la cage d'escalier, Hervé Yograin, traversait le hall de la tour, appelait l'ascenseur dont les portes s'ouvrirent immédiatement, glissa un petite clé dans une minuscule serrure au-dessus des boutons d'appel, et se laissa porter vers l'étage secret, celui que seuls quelques initiés connaissait, l'étage 6 et demi...

Hector Boayeau débanda brutalement. Les femmes de pouvoir, celles qui inventaient, dirigeaient et parlaient fort, l'impressionnaient et surtout ne l'excitaient pas du tout. Cindy Manche après ses déclarations avait changé de catégorie : d'une innocente assistante au postérieur exceptionnel, elle venait de devenir une inventrice de concepts, une femme de pouvoir. Et tout son potentiel sexuel s'était évanoui avec cette découverte.

« Je vois que vous êtes redevenu raisonnable, souffla Cindy en découvrant que la braguette de son compagnon s'était miraculeusement affaissée. Allez, il est temps de continuer notre ascension. Dès que nous voyons une porte, nous sortons de cette cage d'escalier ».

Hector Boayeau se soumit. Il n'avait pas vraiment le choix. Il fallait qu'ils sortent de là.

Ils montèrent quelques marches et après un coude, découvrirent, une drôle de petite porte. Bien moins haute et large que les portes standards. Le plafond de cet étage semblait d'ailleurs s'être affaissé.

« C'est une espèce d'entre-sol », remarqua Cindy vraiment intriguée.

Elle tenta d'ouvrir la petite porte. Mais en vain, elle était fermée à clé. Cela attisa la curiosité de Cindy.

« Vous êtes déjà venu ici ? », demanda-t-elle à Hector.

« Je n'ai jamais entendu parlé de cet endroit. Et même quand j'étais au service sécurité, je n'en ai jamais eu vent », répondit-il en tentant à son tour de pousser la porte.

« Vous seriez capable de la défoncer ? », interrogea Cindy.

« Je peux essayer », fit Hector qui se sentit soudain ragaillardi.

Alors qu'Hector Boayeau prenait du recul pour se projeter contre la petite porte, Hervé Yograin, se baissait pour sortir de l'ascenseur. Il avait rendez-vous avec Philippe Odevain à l'étage 6 et demi, l'étage inconnu, l'étage invisible, l'étage des secrets. Et l'étage, pensait-il, de son introduction dans l'univers du pouvoir et de la lumière.

Hector Boayeau va-t-il réussir à défoncer la porte sans se faire mal à l'épaule ?

Adam Longh va-t-il fumer son barreau de chaise sans tousser ?

Comment Philippe Odevain va-t-il assassiner Hervé Yograin ?

Que cache vraiment l'étage 6 et demi ?

Lucie Ferre a-t-elle d'autres morts sur la conscience ?

Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Roman-Feuilleton du lundi.

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