lundi 25 janvier 2010

Chapitre 18 : Cindy Manche au soleil, en...fin

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Cindy Manche visa avec soin le coffre blindé. Un bruit terrible déchira le silence du bureau de Philippe Odevain. Quand ils furent remis du choc, Cindy, Hector et Henry découvrirent que la balle avait fait exploser la porte. Le contenu du coffre était maintenant à leur portée.

Cindy s'avança la première. Elle souffla pour disperser la fumée qui voletait autour de la porte blindée brinquebalante. Quand le nuage s'évapora, elle découvrit des centaines d'enveloppes parfaitement empilées. Elle en attrapa une. Celle-ci était barrée d'un « Pour Philippe Odevain », comme toutes les autres d'ailleurs. Elle ignorait qui était cet individu. Elle l'avait peut-être déjà croisé mais elle était incapable de mettre un visage sur ce nom. Encore une mystérieuse grosse huile. Compte tenu de la situation et de la décoration de son bureau, elle songea que c'était sans doute un espion à la solde de la direction. Une espèce de conseiller obscur siégeant à cet étage 6 et demi par souci de discrétion. Etrangement l'image de l'individu terrassé par Hervé Yograin lui traversa l'esprit. Mais elle effaça cette vision en secouant la tête. Peu importait à qui appartenaient ces enveloppes, elles étaient maintenant à elle. Elle décacheta celle qu'elle tenait entre les mains et ce qu'elle trouva à l'intérieur la remplit de bonheur.

Les flammes mangeaient doucement la nappe en papier sous l'oeil terrifié de Nasser Virlasoupeux qui avait perdu la voix. Les autres salariés ne semblaient pas se rendre compte du désastre qui était en train de se produire trop occupés à crier « Vengeance ! » pour encourager les comptables surexcités à trucider les membres du conseil d'administration. Il apercevait aussi plus loin, Adam Longh terrassé, la tête écrabouillée sur sa grille et saignant abondamment. A ses côtés, Lucie Ferre jubilait. Elle avait mis à terre le nouveau Président devant la foule en délire. Ses voisins l'acclamaient. Elle se sentait bien. Elle commençait à penser qu'elle était douée pour le crime. Il y avait eu l'assassinat discret de son époux.

Et puis, il y avait eu Armand Bitieux. Une vraie réussite, lui.

Elle se remémora l'événement. Et son acte parfait mais non prémédité. Quand elle avait entendu son amant convoquer Cindy Manche au 2e sous-sol, son coeur n'avait fait qu'un tour ! Cette petite secrétaire au postérieur écrasant de présence allait prendre sa place sur le capot de la Jeep Cherokee. Elle ne supportait pas l'idée de se faire ainsi abandonner. Il était hors de question que Bitieux la remplace aussi facilement. Connaissant bien ses petites habitudes, elle le laissa descendre au parking. Attendit une poignée de minutes puis, à son tour, emprunta l'ascenseur. Elle se glissa silencieusement entre les voitures et rejoignit Armand Bitieux déjà prêt à l'action. Il attendait sa nouvelle victime en slip kangourou blanc appuyé d'un air nonchalant sur le capot. Toujours sans un bruit, elle sortit de sa poche, un Opinel qu'elle avait toujours sur elle. Une femme seule, doit prendre ses précautions. Elle s'approcha de celui qu'elle avait tant aimé. Glissa discrètement le long du pare-brise et d'un geste vif avant que Bitieux réalise qu'il n'était pas seul, elle passa son bras le long de son cou et tailla un grand sourire dans sa gorge. Elle regretta d'avoir commis son acte par derrière. Alors, elle sauta sur le sol et fit face à Bitieux qui gargouillait étrangement. Sa main droite tentait d'arrêter le flux de sang qui jaillissait de sa glotte. Il cligna des yeux quand il vit Lucie Ferre devant lui. Elle rit puis, sans attendre, elle baissa son slip kangourou et trancha son pénis avec force. Bitieux n'avait déjà plus la force de hurler.

Quand elle remonta le slip sur son bas ventre dévirilisé, il avait déjà quitté ce monde.

Avec un mouchoir, elle ramassa le sexe. Tout en remontant vers l’openspace, elle admirait son trophée. Puis, elle réalisa soudainement, combien il était dangereux de le conserver. Qu’allait-elle en faire ? En un quart de seconde, elle se dit, qu’il était un sacré moyen de mettre en danger l’une de ses collègues. Elle avait l’embarras du choix, elle les détestait toutes ! Elle choisit de s’en prendre à la plus belle, celle qui passait son temps aux toilettes à se repomponner, Eva Kanss –Cindy Manche, elle, aurait, déjà son lot de frayeurs au 2e sous-sol, devant le cadavre de Bitieux. Autant faire d’une pierre deux coups. Elle décida donc de glisser le pénis sanguinolant dans la salade d’Eva Kanss. Ce serait si drôle de voir sa tête de starlette devant le sexe abandonné. Elle en riait d’avance.

Ce souvenir la fit frémir de joie. Alors qu'elle se revoyait dans ce parking, sa victime sans vie et démembrée, Adam Longh épuisé, rendait l'âme, le pied de Lucie Ferre victorieuse posé sur son flanc...

Hector et Henry s'approchèrent de Cindy. Elle avait entre les mains des liasses de gros billets. C'était un rêve. Ils se regardèrent avec satisfaction.

« Allez, on empoche tout, fit Cindy. Pour le moment, nous n'en parlons à personne. Pas même à nos collègues déplacardisés. Après tout, cet argent peut certes nous servir à financer la révolution au sein de La Société mais il peut aussi nous permettre de démarrer une nouvelle existence. Une existence paisible, loin des contraintes du travail.

Hector et Henry hochèrent la tête de façon parfaitement synchrone. Cindy avait raison. Elle avait toujours raison. Ils la suivraient n'importe où et feraient tout ce qu'elle dirait. Elle était exceptionnelle. Henry se dit d'ailleurs qu'il était prêt à tout abandonner pour elle. Elle l'avait délivré, sortit de la prison où on l'avait enfermé depuis des années. Sa femme qu'il avait connue très jeune ne s'était jamais rendu compte de l'enfer qu'il vivait cinq jours par semaines. Tandis que Cindy, elle, l'avait sauvé. Elle l'avait poussé à parler, à sortir de sa geôle. Et pour cela -mais aussi pour ce cul qui était sacrément superbe- il l'adorait.

Devant les paquets de billets, Cindy ne se sentit plus la même. Elle eut soudain une folle envie de vacances et de soleil. Elle vit plus loin que sa petite entreprise de méditation transcendantale inter-urbaine. Elle vit... la retraite. Certes, elle n'était pas en âge de la prendre mais elle avait déjà beaucoup donné et il était temps qu'elle lève le pied.

Alain Vanteur venait de recevoir un carton de jeux de fléchettes à l'effigie d'Eva Kanss. C'était des prototypes fabriqués en urgence dans un temps record -du jamais vu- mais ils lui donnaient entière satisfaction. Il se dit qu'il allait tester l'efficacité de son nouveau produit devant le siège de La Société. Car après tout, son idée n'aurait jamais germé sans la chute du Président et la prise de parole de cette sublime employée enfonçant le couteau dans la plaie des patrons. Il voulait voir la réaction des salariés devant sa création. Il mit donc le lot dans sa camionnette barrée du logo de « La farce cachée du monde » et prit la direction du siège de La Société. Il y serait juste avant la sortie des bureaux. Un timing parfait.

Hervé Yograin sentit qu'il suffoquait. Le manque d'oxygène couplé avec l'angoisse de sentir le corps inanimé de Philippe Odevain sous ses fesses lui étreignait l'estomac. Des aigreurs terribles remontèrent le long de son oesophage. Il ne manquait plus que ça... Il surmonta sa terreur et ses douleurs et tenta de remonter le long du toboggan. Mais il glissait et retombait sur Philippe Odevain. Ses rebonds ne provoquant aucune réaction du conseiller obscur, il lui sembla évident qu'il avait rendu l'âme. Puis, dans un ultime geste de survie, il poussa un hurlement, le plus énorme qu'il eut jamais poussé. Sa voix remonta le long du tuyau pneumatique. Mais elle n'arriva nulle part car elle fut couverte par le bruit d'une balle de revolver perforant un coffre-fort.

Les déplacardisés trop concentrés sur leurs pensées enfin libres ne firent pas attention aux bruits étranges et violent qui faisaient vibrer l’étage 6 et demi, ils en avaient vu et entendu bien d'autres. Et pour une fois qu'ils avaient l'occasion de réfléchir sans entraves, ils n'allaient pas se laisser distraire.

Nasser Virlasoupeux vit la flamme devenir un feu. Il tenta de s'échapper mais il était coincé par des salariés qui semblaient totalement aveuglés par la haine et le désir de vengeance. Très vite le feu avala le corps de Bernard Cèlement et commença à attaquer les premiers employés. Des cris fusèrent. Mais ils se perdirent dans les slogans scandés par la foule. Tout se mêlait : la révolution et la terreur, l'incendie et la volonté d'en finir avec le pouvoir en place.

Eva Kanss qui avait les sens toujours en éveil perçut une forte odeur de fumée. Cessant de crier avec ses collègues, elle tendit ses narines vers le plafond. Oui, il y avait bien un problème. Son cerveau ne fit qu'un tour. Plutôt que de déclencher la terreur en criant « au feu », elle allait tenter de se glisser dehors, de sauver sa peau en passant à travers les flammes. Car si elle donnait l'alerte, la masse des employés allait se précipiter vers les issues et elle risquait de rester coincée dans le réfectoire. Elle décida donc de filer à l'anglaise ou plutôt, en ce qui la concernait, à l'argentine.

Cindy regarda les garçons. Ils étaient si mignons et lui avait donné un sacré coup de main. Elle se dit que ce serait sympa de prendre sa retraite avec eux sous les Tropiques.

« Dites, ça vous dirait un petit voyage impromptu au soleil ? Avec cette somme, je crois que nous pourrions tous les trois être à l'abri du besoin. Quelques bons placements et nous n'avons plus à nous soucier de l'avenir... Qu'en dites vous ? », demanda Cindy.

« Nous en disons du bien », rétorquèrent les deux hommes ravis de cette proposition.

« Empochons tout ça puis allons voir les déplacardisés. Je vais leur dire de rentrer chez eux, de raconter leur histoire à leur famille. Et de revenir demain demander réparation à la direction. Hector, es-tu d'accord pour que je leur donne le BlackBerry de Cèlement comme preuve de leur bonne fois ? » Hector acquiesça. Il se voyait déjà sous les cocotiers, sur une plage de sable fin. Ca le changerait de ses poubelles. Il offrait donc avec joie le téléphone pour aider ses congénères à accéder, eux aussi, au bonheur.

Cindy, Hector et Henry, les poches pleines quittèrent donc le bureau et s'avancèrent vers les déplacardisés.

Hervé Yograin tendit le nez. Une forte odeur de brûlé envahissait le conduit. La chaleur monta brutalement de plusieurs degrés. Les parois du conduit étaient brûlantes. Il se mit à suer. Il songea qu'il devait y avoir un incendie dans le bâtiment. Pourquoi les alarmes ne se déclenchaient-elles pas ? Il se souvint alors qu'à la demande de Bernard Cèlement et pour des raisons économiques, il n'avait pas fait faire la révision du système de contrôle des détecteurs. Alors qu'il étouffait et grillait dans son vieux conduit de pneumatique, il entendit la voix grinçante de feu le Président Cèlement : « Un de grillé, dix de retrouvés !!!! »

Eva Kanss arbora son plus beau sourire. « Pardon, pardon. Une envie pressante... » Elle avait décidé de s'échapper par la fenêtre des toilettes du rez-de-chaussée. Devant son charme, tout le monde s'écartait. Quand elle poussa la porte des toilettes, elle entendit nettement plusieurs voix crier « au feu ». Alors, elle poussa le loquet afin d'être bien tranquille pour passer par la fenêtre.

« Mes amis, commença Cindy, je pense qu'il est plus sain que vous rentriez paisiblement chez vous. Avant de passer à l'action, il faut que vous racontiez votre histoire à vos familles. Elles sont votre soutien majeur et vous allez en avoir besoin dans les jours à venir pour mener à bien votre combat et faire valoir vos droits. Je vais confier à l'un de vous le BlackBerry de Bernard Cèlement. C'est une preuve irréfutable de la culpabilité de La Société envers vous. Et vous allez vous en servir. » Elle donna alors au hasard le téléphone à un déplacardisé qui la remercia d'un regard.

Puis, la foule se leva et se dirigea vers la cage d'escaliers. Il était temps de rentrer chez soi.

Cindy, Hector, Henry et la troupe des déplacardisé descendirent en silence les escaliers. C'était sans aucun doute, pour tous, le début d'une nouvelle ère et ils en étaient conscients. Ils étaient si concentrés qu'aucun ne sentit la drôle d'odeur qui envahissait les locaux.

Alors qu'ils atteignaient le 2e étage, Hervé Yograin rendit son dernier soupir, la peau recouverte de cloques.

Quand la troupe arriva au rez-de-chaussée, elle réalisa qu'il se passait quelque chose de grave. Il y avait de la fumée partout. La troupe se hâta vers la sortie, poussa la porte et se retrouva dans la rue, à l'air libre et pur ! Ils coururent au bout de la rue et quand ils se retournèrent, ils virent d'énormes flammes sortir des fenêtres de la tour.

Quelques-uns des prisonniers du réfectoire eurent le temps d'avoir d'ultimes pensées.

Nasser Virlasoupeux songea que c'était dommage pour un cantinier soucieux des cuissons de mourir ainsi rôti.

Lucie Ferre, le pied toujours posé sur le flanc mort d'Adam Longh , songea, qu'aujourd'hui plus que jamais, elle portait bien son nom. Les autres périrent très vite étouffés.

Eva Kanss prit une grande bouffée d'air, une fois dehors. Elle avait sauvé sa peau. Elle se demanda si un jour, elle saurait à qui avait appartenu le sexe sectionné déposé dans sa boîte bento. Elle marchait tranquillement le long du trottoir quand une camionnette freina à son niveau. C'était Alain Vanteur. Il lui avait bien semblé reconnaître, de loin, la diva des salariés qui avait inspiré son jeu de fléchettes. Il l'interpella depuis la fenêtre : « Mademoiselle, mademoiselle, j'ai quelque chose à vous montrer ». Eva Kanss en avait tellement vu, qu'elle n'imagina pas une seconde que cet homme en camionnette pu être un pervers. Elle eut raison de lui faire confiance. Car quand Vanteur déballa son paquet devant elle et qu'elle vit son visage empaqueté avec des lots de fléchettes, elle fut flattée. Ce n'était pas très gentil de l'avoir choisie comme cible mais elle adorait l'idée d'avoir inspiré un homme. Elle su immédiatement que cet homme était celui de sa vie. Alors, elle accepta de monter dans sa camionnette. « Pas la peine d'aller devant la tour de La Société, elle est en cendres. En revanche, vous pouvez m'inviter à dîner. Et peut-être qu'en me voyant en vrai vous aurez d'autres idées de jeux. » Alain Vanteur était heureux : Eva Kanss était belle. Il avait enfin trouvé sa muse, celle qui allait lui donner le courage de sauver « La farce caché du monde », sa petite entreprise.

Cindy et ses amis prirent le temps de regarder La Société s'effondrer, partir en fumée, disparaître. Une fois la tour envolée dans le ciel noir, ils se séparèrent. Les placardisés repartirent vers leurs gares. Cindy, Hector et Henry hélèrent un taxi. Ils avaient maintenant les moyens de se payer une voiture pour circuler sans être écrabouillés par la foule des travailleurs.

« A l'aéroport », fit Cindy au chauffeur. Elle était agréablement prise en sandwich par ses deux chevaliers servants. Elle était bien.

Ils s'endormirent du sommeil des justes et se réveillèrent devant l'énorme paquebot qu'était l'aéroport. Ils descendirent et filèrent vers les panneaux affichant les destinations des vols au départ. Ils avaient l'embarras du choix.

« On opte pour un paradis fiscal ? », firent Hector et Henry en choeur.

« On opte pour un paradis tout court », fit Cindy en tâtant dans sa poche les liasses de billets et le sexe maintenant desséché qu'elle garderait éternellement en souvenir de cette journée de libération. Une Cindy Manche qui pensait bien passer tous les prochains jours de sa vie au soleil. Espérant par dessus tout que ce serait, enfin, à tout jamais dimanche.

FIN

THE END

 
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