lundi 26 octobre 2009

Roman Cindy Manche au soleil - chapitre 6 : Poubelle, la vie

Si vous n'avez pas lu les épisodes précédents, découvrez les dans la colonne de droite

Hector Boayeau vivait dans la rue. Pas depuis toujours. A force de vider des bouteilles de vin et de gnôle bon marché, il avait oublié précisément depuis quand. Il pensait que cela faisait bien une dizaine d'années qu'il avait élu domicile au pied du siège de La Société. Il avait pris cette décision à la suite d'un licenciement abusif suivi d'une dépression qui avait entraîné un divorce et une plongée dans un alcoolisme total... La Société l'avait viré et il avait décidé, alors qu'il était sans amour, sans travail et sans domicile de se planter en bas de sa tour. Au début, ce fut une forme de rébellion. Un moyen de montrer où pouvait mener le dévouement salarial. Il s'était installé sur la bouche d'aération à l'entrée du bâtiment et malgré le harcèlement des services de sécurité n'avait pas bougé d'un iota. Peu à peu, les salariés avaient déposé devant lui un peu de monnaie, des sandwichs, des magazines, de vieux vêtements et parfois même un coup de rouge... Hector Boayeau faisait maintenant partie du paysage et la direction avait trouvé que finalement sa présence apportait un côté humain à leur siège et sa colère s'était transformée en un traintrain tranquille.

Avec les années, Hector Boayeau avait exploré les alentours de la tour. Il avait notamment découvert le gigantesque local poubelles qui était devenu une chambre royale. Il fouillait régulièrement les bacs plein de déchets et y trouvait moult trésors : restes de repas, journaux du jour, lettres d'amour, messages d'insultes, calculatrices calculant encore, bijoux perdus... Il arrivait même, le week-end à monnayer certaines de ses trouvailles sur un marché clandestin niché sous un pilier du périphérique extérieur. Avec le temps, il s'était organisé une vie assez routinière. Il se levait tard le matin, roupillant et cuvant jusqu'à 11 h du matin. Puis, il filait dans les toilettes visiteurs du rez-de-chaussée de la tour. Comme il lui était impossible de passer par l'entrée principale, il entrait par un petit vasistas toujours ouvert pour éviter les mauvaises odeurs. Il faisait tranquillement sa toilette car il s'était rendu compte qu'aucun visiteur n'avait jamais d'envie pressante et qu'il était sans doute le seul utilisateur de ce local. A midi pétantes, il était à sa place, cueillant tous ceux qui sortaient déjeuner et qui pris soudainement de mauvaise conscience lui balançaient le contenu de leurs poches. Il avait remarqué qu'avant le déjeuner, l'estomac vide, le salarié était beaucoup plus généreux comme si les gargouillis de son ventre le rappelaient à l'ordre.

Ce matin-là, Hector dormait profondément, planqué entre deux containers, quand il entendit un bruit inhabituel dans le local. Il ne bougea pas, effrayé. Si on le tolérait devant la porte, personne ne savait qu'il logeait là. Et pour cause, ancien salarié du service de télésurveillance, il savait précisément où se trouvaient les caméras vidéo qui espionnaient les équipes et il avait su tout au long de ces années, les éviter avec art... Il resta immobile, retenant sa respiration tandis que plusieurs individus s'affairaient autour d'une imposante poubelle verte. Un bruit sourd vint conclure leurs mystérieux agissements. Dès qu'il entendit la porte claquer, Hector, compta jusqu'à 50 pour être sûr que personne ne reviendrait et sortit de sa tanière. Il ouvrit le couvercle du bac, sauta dedans et atterrit sur un gros tas à la fois mou et résistant. La chose était enveloppée dans un rouleau de moquette gris usé par les pieds de centaines d'employés traînant leurs savates vers leurs bureaux. Comme Hector avait le temps, il décida de voir ce qui se cachait au milieu du rouleau. A force d'acrobaties et de diverses ruses d'homme habitué à se débrouiller avec ce qu'il a, il atteignit le coeur du rouleau... Et ce qu'il vit le terrorisa : entre les morceaux de moquette était caché le corps d'un homme en slip kangourou tout sanguinolent. Sa gorge était tranchée et, vu l'état de son slip, débarrassé de ses parties génitales. Le visage de l'homme ne lui était pas inconnu mais il était incapable de remettre un nom sur ces traits. Alors qu'il était tétanisé, il eut soudain un flash terrifiant : et si La Société connaissait tout de sa petite vie tranquille et avait fermé les yeux au cas où... Au cas où, un jour, elle aurait à couvrir un meurtre. Un pauvre homme comme lui, licencié des années auparavant et revenu vivre sur les lieux même de son malheur, voilà un coupable idéal, sur-mesure…

Soudain, saisi par la terreur, il bondit hors de la poubelle, couvert du sang d'Armand Bitieux. Il poussa la porte du local sans se soucier de son allure, pensant uniquement à sauver sa peau. A peine dehors, il vit tomber à ses pieds en homme fort bien habillé. Il le reconnut, celui-là, immédiatement. C'était Bernard Cèlement. Des cadavres dans des rouleaux de moquette, une pluie de Président. Par réflexe purement humain, il se pencha pour secourir Cèlement. Il s’accroupit près du corps écrabouillé. Tâta son poignet tout tordu, ne sentit pas de pouls... Sans vraiment savoir pourquoi, il glissa sa main le long du buste inerte et ses doigts, par hasard, entrèrent dans la poche de la veste présidentielle, tombèrent sur un Blackberry étrangement encore entier, s'en emparèrent. Sur ce, Hector décida de s'enfuir pour de bon. Malheureusement, il se trouva pris dans le flot d'agents de sécurité sortant au pas de course de la tour et de salariés armés de téléphones portables prêts à photographier un mort. Prisonnier de la vague, il fût propulsé dans l'entrée désertée. Hector Boayaux fut pris de panique dans ce hall qu'il avait traversé si souvent, cartable en cuir à la main. Son esprit était incapable de prendre une décision raisonnée, envoyant un seul et unique message : « Fuis ». Les yeux d'Hector explorèrent le hall. Il vit alors la cage d'escalier barrée d'un panneau « sortie de secours ». Il prit cela comme un signe et fonça dans l'escalier. Au pas de course, il grimpa plusieurs étages sans les compter. A bout de souffle, il fit une pause sur un palier. Il poussa une porte, juste pour voir où il était. Déboucha dans un openspace vide. Vit des sacs et autres affaires personnelles abandonnées sans surveillance aux pieds de fauteuils de bureaux inoccupés. Se dit que c'était une aubaine. Fonça sur le premier cabas à sa portée de main. Tomba sur une lourde gamelle contenant sans doute un bon déjeuner et laissant échapper une délicieuse odeur de viande faisandée. Se dit qu'il n'avait pas mangé depuis longtemps et que s'il devait se planquer quelques jours ce casse-croûte serait plus utile qu'un portefeuille. Repartit dans l'escalier de secours son repas sous le bras et reprit son ascension.

Quelques marches plus haut, il rentra en collision avec Cindy Manche. Il la reconnut immédiatement ou, plutôt, reconnut son postérieur inoubliable qui dans le choc se retrouva posé sur son nez.


Hector Boayeau va-t-il profiter de la situation ?

La boîte bento a-t-elle résisté au choc de ces deux individus ?

Y-a-t-il des caméras de sécurité dans l'escalier de secours ?

Qu'est-devenue Eva Kanss ?

Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Roman Feuilleton

4 commentaires:

  1. ca y est j'ai tout lu ! holala, quel suspens... et quelle rigolade.
    bravo & baisers
    Laurie

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  2. Une nouvelle lectrice ! Merci Laurie. J'espère que tu es accro ! Biz et à très vite.

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