lundi 5 octobre 2009

Roman Cindy Manche au soleil - chapitre 3 : Eva t'en guerre

Si vous n'avez pas lu les épisodes précédents, découvrez les dans la colonne de droite

Un sexe d'homme dans une boîte bento, Eva Kanss n'en revenait pas. Mais elle n'était pas née de la dernière pluie. Une Argentino-allemande conçue à la frontière du Chili, sait se taire quand il le faut. Elle referma le couvercle de sa gamelle. Mais au lieu de ranger son déjeuner dans le frigo commun de l'openspace, elle le glissa dans son cabas. Elle avait cependant un peu peur. A qui appartenait la chose ? Et surtout, qui l'avait posé sur sa salade de graines germées ? Lui en voulait-on ? Ou, au contraire, était-ce une déclaration ? Les questions se bousculaient dans sa tête... Elle s'assit confortablement dans son fauteuil de bureau, alluma son ordinateur et fit semblant de lire quelques courriers électroniques à l'écran. Les yeux perdus dans la machine, elle réfléchissait à la situation. Elle prit soudain conscience que Cindy Manche n'était pas à son poste. Ce n'était pas d'elle. D'autant que son sac était là, en évidence sur son bureau.

Cindy Manche et le sexe d'homme sectionné étaient-ils liés d'une manière ou d'une autre ? Elle décida qu'il y avait de fortes chances. Eva Kanss était la reine des décisions. Elle ne perdait jamais de temps en réflexions à rallonge, elle agissait. Elle jeta donc un regard autour d'elle. Constata que toutes les assistantes étaient absorbées dans leurs missions matinales, se leva rapidement, s'empara aussi vite du sac de Cindy et revint à son poste.

A l’intérieur du sac, il y avait le matériel habituel de toute assistante de direction : bloc-notes, stylo à bille, téléphone portable, poudrier, brosse à cheveux, agenda, clés… Mais il y avait aussi une grosse pochette fermée par des élastiques. Quand Eva Kanss l’ouvrit, elle sentit qu’elle tenait là une bonne piste. A l’intérieur, il y avait un dossier très détaillé sur la méditation transcendantale interurbaine. Eva Kanss ignorait bien sûr de quoi il s’agissait mais en parcourant rapidement les documents, elle comprit qu’il s’agissait là d’une méthode révolutionnaire de gestion du stress pour urbains utilisateurs des transports en commun. Le comptage de pellicules était au centre de ces recherches. S’ajoutait au descriptif, un plan de financement, un autre de communication et bien d’autres papier liés à la création d’une auto-entreprise.

Pour Eva Kanss, la chose était claire : si Cindy Manche n’était pas à son bureau, c’était qu’elle était en train de négocier son départ pour se lancer dans une aventure individuelle. Mais que venait faire dans sa salade un pénis sectionné ? La question restait entière.

Pendant qu’Eva se triturait les méninges, Filipo Lisse arrachait le gros scotch qui obturait la bouche de Cindy Manche. Puis il détacha le foulard qui lui bandait les yeux. Quand la lumière réveilla les pupilles de Cindy, elle se sentit tout de suite mieux. Puis, elle réalisa qu’elle était au 13e étage de la tour. Celui qui abritait les bureaux de la Présidence. Elle le savait car c’était le seul niveau avec de grandes baies vitrées qui vous donnaient l’impression de flotter dans le ciel de la ville, au-dessus de tout. Et là, c’était son cas. Son regard se perdit dans les nuages, au-delà des toits des autres immeubles. Très vite, cependant, elle tourna la tête attirée par un bruit de tissu. Elle vit alors l’imposante silhouette de Bernard Cèlement, Président Directeur Général de La Société. Bien sûr, elle ne l’avait jamais vu « en vrai ». Uniquement sur les documents institutionnels généreusement distribués au personnel : lettre interne, journal externe, cartes de vœux, avis de décès…Il y avait toujours la photo de Bernard Cèlement, en pieds, dans son costume de coupe italienne, un large sourire barrant son visage carré, toujours bronzé.

« Impossible de donner un âge à cet homme », songea Cindy. Ce fut l’unique pensée qu’elle eut avant que Filipo Lisse et Hervé Yograin quittent la pièce et ne la laissent en tête-à-tête avec le Président.

Bernard Cèlement s’approcha de Cindy. Si près, qu’elle sentit son parfum délicat et vit à travers le tissu de sa chemise le dessin léger de quelques poils. Quand son visage fut à quelques centimètres du sien, il sourit. Et ce sourire lui fit l’effet d’un coup de couteau en plein cœur. Une douleur immense transperça son corps : elle savait qu’elle était perdue. Cet homme allait lui voler son projet et se débarrasser d’elle.

La voix profonde et douce surgit alors de la gorge de Bernard Cèlement.

« Mademoiselle Manche, je suis ravie de vous rencontrer enfin. J’entends beaucoup parler de vous ces derniers temps. Et surtout, de votre travail sur la méditation transcendantale interurbaine. Brillant, je crois. Et très utile pour nous en ces temps de crise. Je vais donc être direct. Si vous souhaitez éviter la prison –je vous rappelle que vous avez assassiné Armand Bitieux, même si, certes, vous avez des circonstances atténuantes : nous savons tous qu’il vous harcelait sexuellement comme d’autres assistantes de la direction- il vous suffit de nous offrir votre projet. Plus concrètement de nous l’abandonner. De ne jamais réclamer quoique ce soit sur l’application de votre méthode. De ne rien revendiquer. Bref, d’oublier que vous êtes à l’origine de ce programme de management révolutionnaire. En clair, de vous asseoir dessus. ».

Dans un élan de courage extraordinaire, Cindy hurla « Jamais ! »

Le sourire barra à nouveau le visage du Président. « En fait, je crois que vous n’avez pas le choix. Car vous ne finirez même pas en prison. Je n’ai pas de temps à perdre dans des procès et des enquêtes : j’ai une entreprise à conduire vers les bénéfices, moi. J’ai des actionnaires qui attendent des résultats, moi. Vous n’avez pas le choix. Pour aller droit au but, soit vous acceptez ce deal, soit vous traversez la baie vitrée dans quelques minutes… »

Tandis que le cerveau de Cindy Manche marchait à toute vitesse, celui d’Eva Kanss analysait les éléments de ce début de journée calmement, un à un. Elle en arriva à la conclusion qu’il se passait quelque chose d’assez nauséabond dans La Société. Mais elle était incapable de savoir quoi. Il fallait qu’elle trouve de l’aide auprès de l’une de ses collègues plus anciennes –cela ne faisait que 5 ans, qu’elle occupait ce poste et elle ignorait tout de l’histoire de cette entreprise. Il lui fallait une ancienne, au fait du passif de La Société. Il fallait qu’elle sache si d’autres pénis avaient été retrouvés dans une gamelle, si d’autres assistantes de direction avaient disparu pour monter leurs propres sociétés. Elle jeta un coup d’œil circulaire à l’openspace. Elle avait deux options. Solliciter Amélie Berthé, assistante de la direction de la production, en poste depuis 25 ans. Ou bien, s’appuyer sur Lucie Ferre, assistante de la direction des achats, à cette place depuis la nuit des temps, disait-on en ricanant devant la machine à café. Toutes deux semblaient de confiance. Mais dans un souci de discrétion, Eva Kanss ne devait se choisir qu’une alliée. Et la bonne…

Cindy Manche va-t-elle passer par la baie vitrée ?

Eva Kanss va-t-elle enfin trouver le propriétaire du pénis sectionné ?

Qui d’Amélie Berthé ou de Lucie Ferre est la bonne alliée ?

Vous le saurez dans le prochain épisode du Roman feuilleton du lundi.



2 commentaires:

  1. Vraiment génial ! J'espère que ce roman feuilleton va durer encore tres longtemps !

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  2. Merci, merci. J'ai besoin d'encouragements pour relever ce challenge !

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