lundi 19 octobre 2009

Roman Cindy Manche au soleil - chapitre 5 : Le corbeau déploie ses ailes

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Tomber du 13e étage d'une tour, Bernard Cèlement ne s'y étais jamais préparé. Il s'était souvent senti pousser des ailes lorsqu'un contrat juteux venait d'être signé, qu'il avait réussi à mettre dans son lit une présentatrice télé, qu'il avait touché un gros chèque sous la table ou encore quand il calculait la courbe de croissance de son salaire sur les dix dernières années. Mais là, il avait beau se remémorer tous ces bons souvenirs, il sentait bien qu’aucun miracle ne se produirait : aucune aile dans le dos. Il lui sembla que la chute était longue. Il eut ainsi le temps de penser aux meilleurs moments passés dans La Société. A tout ce qu'il avait fait de bien pour elle : gel des salaires, augmentation des dividendes, contrôle des coûts, croissance des bénéfices, compression de la masse salariale, voitures de fonction pour les dirigeants, systèmes de sécurité et de contrôle du temps de travail optimisés, productivité en hausse... Tout ça c'était bien beau. Mais cela n'allait pas l'empêcher de s'écrabouiller sur le trottoir. Il eut un pincement au cœur. Mais avant d'exploser sur le bitume, il eut aussi une pensée positive : la relève était assurée avec Adam Longh. Son successeur qu'il avait formé pendant de longues années serait à la hauteur de la fonction. Il saurait perpétuer sa mémoire et sa stratégie d'expansion.

Cindy Manche n'en revenait pas : elle avait réussi à se débarrasser de son bourreau. Cela lui avait semblé si simple. Mais maintenant comment allait-elle quitter discrètement le bureau présidentiel. Il lui était impossible de ressortir par la grande porte. Elle eut soudain une idée de génie : elle allait expliquer que le Président s'était suicidé devant elle. Par les temps qui courraient, ce n'était pas idiot. La presse ne cessait de parler d'une vague de suicide d'employés. Pourquoi pas un Président ? Ce genre d'homme a le droit d'être au bout du rouleau, soumis à la pression des actionnaires, happé par la charge de travail qui l'éloigne de sa famille et de ses vrais amis. Elle se présenterait comme « la prise de conscience ». Oui, elle dirait que le Président l'avait convoquée, passionnée par sa théorie de la méditation transcendantale interurbaine et que lors de leur conversation, il avait pris conscience de ses erreurs de management. Tout à coup, comme écrasé par la culpabilité, il avait foncé tête baissée dans la baie. La suite, on la connaissait. Et si Hervé Yograin et Filipo Lisse tentaient de la tourmenter à nouveau, elle menacerait de révéler son enlèvement et de parler du corps sanguinolent d'Armand Bitieux sur la Jeep, au deuxième sous-sol.

Tout était réglé. Elle poussa donc un hurlement de circonstance.

Adam Longh entendit le cri de Cindy Manche qui perça portes et murs de l'étage présidentiel comme un énorme marteau piqueur. Il venait juste de décoller son oeil du trou de la serrure. Il avait assisté en live au vol plané de son Pygmalion. Une aubaine... Mais au même instant, il avait été informé d'un code 9 et se devait de descendre aux services sécurité pour mettre en place une stratégie de neutralisation d'une assistante visiblement trop curieuse.

Sur son Blackberry venait d'arriver une note sur le profil d'Eva Kanss soupçonnée de fouiner un peu trop... Il emprunta en urgence l'ascenseur présidentiel tout en s'interrogeant sur ce personnage et sur ses liens avec Cindy Manche. Complotaient-elles ? C'était tout à fait possible puisqu'elles passaient leurs journées face à face. Et pourtant, jusqu'à aujourd'hui, aucune caméra, ni aucun témoin n'avait signalé de comportements suspects. Se voyaient-elles après le bureau ? C'était peu probable... Grâce à une efficace politique de la rumeur, La Société avait réussi à convaincre ses employés que chacun de ses collègues était une ordure potentielle prête à lui piquer sa place ou, au moins, à aller se plaindre de son comportement auprès de la direction, mettant ainsi son emploi en péril. Cette politique s'était avérée extrêmement probante. Il avait suffi d'injecter des bruits de couloirs bien placés et le tour avait rapidement été joué. Il était à l'origine de ce système de la terreur très simple et peu coûteux qui lui avait rapporté le respect du Président. C'était à partir de là que Bernard Cèlement en avait fait son héritier. Il était donc sûr qu'Eva Kanss et Cindy Manche n'avaient pas comploté à l'extérieur de la Société. Il contacterait tout de même son informateur à la cantine, Nasser Virlasoupeux, pour vérifier si elles avaient déjeuné ensemble ces dernières semaines.

Amélie Berthé fut la première à réagir au mail d'Eva Kanss. Elle sentit sa chair se glacer et ses poils se dresser. Cette femme, c'est sûr, était une espionne à la solde de la direction générale. Qu'avait-elle fait pour qu'on essaye de la coincer en flagrant délit de caftage ? La Société était-elle en train de planifier un nouveau plan de sauvegarde de l'emploi et, comme à son habitude, de préparer le terrain en donnant de bonnes raisons à ses salariés de partir sans trop réclamer d'indemnités ? Elle jeta un coup d'oeil à Eva Kanss. C'était certain : avec son beau maquillage, son regard de braise et son corps de rêve, cette femme-là devait sans doute voir plus loin que l'openspace. Elle décida donc de jeter son mail sans attendre.

Lucie Ferre, elle, n'eut pas la même réaction. Elle détestait Eva Kanss, ses grands airs et ses longues jambes. Elle s'empressa donc de transférer à son directeur ce mail inquisiteur accompagné du commentaire suivant : « Monsieur le Directeur, veuillez trouver ci-après un message de l'une de mes collègues d'openspace. Je trouve très déplacé de sa part de m'importuner dès le matin alors que nous sommes surchargés de travail et que notre priorité est de privilégier la productivité et non les curiosités personnelles. J'espère que vous pourrez intervenir afin que cesse très rapidement cette forme déguisée de harcèlement numérique. » Elle appuya sur « send ». Satisfaite.

La Société aimait les comportements positifs comme celui de Lucie Ferre. Surtout quand ils venaient corroborer un code 9. Hervé Yograin fut informé immédiatement de ce geste. Il en fit part à son tour via Blackberry à Adam Longh. Mais son bonheur fut de courte durée. Une sirène hurla dans son bureau, les voyants rouges se mirent à clignoter. Un code 10... Il cliqua sur l'écran de son ordinateur et vit ce que retransmettaient les caméras de surveillance extérieures : un corps aplati sur le trottoir. Le visage était complètement écrabouillé mais Hervé Yograin reconnut le costume de coupe italienne. Il n'y avait que Bernard Cèlement qui portait cette marque de sur-mesure transalpine. Le Président était mort.

Tout le monde était sur le pied de guerre. Les services de sécurité furent mobilisés en cordon pour éviter que quelqu'un ne touche le présidentiel cadavre. Les directeurs furent convoqués en cellule de crise. Les employés alertés par les sirènes coururent aux fenêtres pour admirer le spectacle. Le cri de Cindy aussi fort fut-il passa inaperçu. Et quand elle osa pousser la porte du bureau, elle constata que la voie vers l'escalier de secours était libre. Un miracle...

L'autre miracle concerna Eva Kanss qui, sans le savoir, eut droit à un répit. Pris au dépourvu par les sirènes, l'affolement des salariés et les appels répétés du conseil d'administration qui voulait nommer au plus vite un successeur à Bernard Cèlement pour éviter toute chute des cours de La Société à la bourse, Adam Longh dû rebrousser chemin. Le cas Kanss serait réglé plus tard...

Quel sort Adam Longh réserve-t-il à Eva Kanss ?

Qui Cindy Manche va-t-elle croiser dans l'escalier de secours ?

Bernard Cèlement est-il vraiment mort ?

Le pénis sectionné caché dans la bento box ne risque-t-il pas de très vite sentir mauvais et d'attirer l'attention des occupants de l'openspace ?

Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Roman-Feuilleton du lundi.

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