lundi 21 septembre 2009

Roman Cindy Manche au soleil - Chapitre 1 : Voeux pieux à la photocopieuse


Cindy Manche n’avait plus de boule dans le ventre, chaque matin, en se rendant au bureau. Même écrasée entre deux mastodontes parfumés à l’eau de Cologne Bien Etre. Comme d’habitude, pour tuer son temps de transport, elle comptait les pellicules sur l’épaule de son voisin - un malheureux employé, étriqué dans son costume et qui, malgré sa taille impressionnante, semblait petit, petit.

Cindy, à force d’observation quasi quotidienne avait pu constater que la population parisienne souffrait massivement de ce syndrome du dessèchement du cuir chevelu. Pour son plus grand plaisir. Car, compter les pellicules l’amenait à un état de plénitude improbable dans le métro. Au bout d’une cinquantaine de peaux blanches répertoriées, elle atteignait une espèce de nirvana tranquille, oubliant le crissement de la rame, l’odeur de certains, le visage de tous… Avec le temps, elle avait même découvert que la technique fonctionnait aussi avec les boutons d’acné et les poils de barbe ou de moustache. Il lui avait fallu des années pour décrocher ce niveau de méditation transcendantale interurbaine. Et surtout pour comprendre qu’elle tenait là un beau filon.

L’éclair de génie avait strié son esprit une nuit, un mois plus tôt. A 38 ans, 6 mois et deux jours, Cindy s’était réveillée en sursaut avec une certitude : « Il fallait qu’elle quitte son poste d’assistante de la direction du service comptabilité pour lancer son cabinet de thérapeute en méditation transcendantale interurbaine. Elle avait à sa portée, cinq jour par semaine, écrabouillés contre son corps dans des trains bondés, des milliers de clients potentiels. Apprendre à tous à supporter la transhumance professionnelle, et même à la rendre orgasmique, telle était sa nouvelle mission ».

Cela faisait maintenant 25 jours, qu’elle travaillait concrètement à l’éclosion de sa nouvelle profession. Inscription en ligne comme auto-entrepreneur, mise en place de la méthode, programme...

Son emploi du temps du jour prévoyait l’impression sur la photocopieuse de La Société de 500 prospectus annonçant la naissance de cette nouvelle thérapie. Des tracts qu’elle glisserait discrètement dans les poches des voyageurs métropolitains. Elle en frémissait de joie.

Ce projet lui permettait de supporter les journées sans fin, penchée sur l’agenda de son directeur du service comptabilité, sur des listings de chiffres ou sur des missives dénonçant un dépassement de frais incompréhensible. Comme chaque fois dans le hall d’entrée, elle essuya inconsciemment, d’un coup de main sur son pantalon, le regard appuyé sur son postérieur du molosse qui gardait la tour. Comme chaque fois, elle était la première dans l’openspace des assistantes des directions.

Elle alluma les néons. Elle appuya sur le bouton de son ordinateur et posa son sac bien en évidence sur son bureau pour que sa collègue la plus proche Eva Kanss (assistante du directeur des achats internationaux, une Argentino-Allemande, sublime dont le seul défaut était de ne jamais épiler ses poils sous les aisselles, ce qui, l’été, était un handicap certain dans sa quête d’un mari polyglotte, qualité essentielle à un coup de foudre car Eva, compte tenu de ses origines multiples, aimait les hommes pratiquant plusieurs langues) constate qu’elle était, une fois plus, avant tout le monde, au turbin.

Puis, elle fila à la photocopieuse couleurs reproduire en masse son prospectus rose et vert. Elle passa son badge devant le lecteur laser pour allumer la machine, glissa sa publicité homemade sur la vitre, tapa 500 et appuya sur ok. Les petits papiers sortirent dans un bruissement régulier. Elle les fixa s’entassant dans la trieuse. Mais alors qu’elle allait récupérer le petit tas, elle vit s’avancer dans le couloir, son directeur du service comptable, Armand Bitieux. Il avait l’œil torve, le teint blême mais le cheveu brillant et le ventre plat. En somme, il était impossible de dire s’il était beau ou laid. Ce matin-là, il avait une étrange lueur de joie dans le regard.

Cindy eut un terrible pressentiment.

Elle avait raison de s’inquiéter. Armand Bitieux n’y alla pas par quatre chemins : « Cindy, savez-vous qu’il est interdit de faire des photocopies personnelles avec le matériel de La Société ».

« Mais, Monsieur Bitieux, je ne faisais aucune copie personnelle ».

« Ne mentez pas immédiatement, Cindy. Réfléchissez avant. Pourquoi, depuis quelques mois, devez vous passer votre badge devant la photocopieuse pour pouvoir l’utiliser ? Tout simplement, parce que ce petit geste déclenche un processus complexe qui nous permet de contrôler toutes les copies, le contenu comme le nombre, faites par les employés de La Société. »

Il fouilla nonchalamment dans sa poche.

Cindy sentit son cœur se serrer.

Elle avait une fois de plus raison.

Armand Bitieux exhiba enfin la reproduction du tract rose et vert, clamant les bienfaits de la méditation transcendantale interurbaine : « Vous voyez Cindy, ce mouchard envoie directement sur mon ordinateur, votre nom, l’image du document et le nombre de copies demandées. Alors vous voulez nous quitter pour vous lancer dans la méditation ? Ca risque d’aller plus vite que prévu. »

Le silence régnait sur La Société. On entendait parfois sonner un téléphone dans un lointain bureau. Cindy était prise la main dans la trieuse.

Elle respira très fort, chercha, pour se détendre, quelques pellicules sur l’épaule du directeur du service comptabilité. En vain. Et pas même un bouton ou un poil de barbe ne dépassait. Elle était dans une impasse.

Mais la vie, même quand elle ressemble à un cliché, réserve parfois des surprises.

« Mademoiselle Manche, sachez cependant que je vous apprécie énormément et que je suis prêt à fermer les yeux. J’ai déjà fait quelques faveurs de ce type à certaines de vos collègues dont je tairai le nom. Si vous souhaitez vous faire pardonner, je vous propose de me retrouver dans dix minutes au deuxième sous-sol. Nous serons tranquilles pour un petit échange intime : c’est le parking de la direction et les Jeeps Cherokee font de très bons paravents. »

Cindy n’hésita pas. Sa vie de célibataire à activités sexuelles multiples lui avait appris que parfois, il faut en avoir dans la culotte pour survivre. Et que cela peut même être agréable. Elle répondit : « A dans dix minutes, donc »

Le directeur du service comptabilité était un véritable calculateur : il savait avec art coincer les employées et, aujourd’hui, il ajoutait Cindy Manche et son sublime postérieur à son tableau de chasse. Pas de doute, il était le numéro 1.

Cindy ne voyait pas tout à fait les choses de la même manière. Mais elle essaya de positiver en se repoudrant le nez dans les toilettes, histoire d’être à son avantage même dans l’obscurité du deuxième sous-sol.

Dix minutes, cela passe vite quand on doit vérifier que tout est au point pour une partie fine impromptue. Qui plus est avec son directeur. Dans l’ascenseur, Cindy examina une dernière fois sa tenue qui, de doute façon, ne ferait pas long feu derrière la Cherokee.

Il régnait une profonde obscurité dans le parking. Les silhouettes des grosses cylindrées se dessinaient dans le noir comme de gros monstres assoupis. Cindy crut entendre des grognements et des soupirs. Mais elle se dit que son imagination lui jouait des tours. Elle avança jusqu’à une Jeep sombre, la contourna doucement.

Et ce qu’elle vit sur le capot la glaça d’effroi.

Armand Bitieux était allongé en slip kangourou sur la carrosserie. Une grande entaille rayait son cou comme un sourire, laissant s’échapper des flots de sang…

Qui a tué Armand Bitieux ?

Cindy Manche sera-t-elle lavée de tous soupçons ?

Rendez-vous, lundi prochain pour le prochain épisode du Roman-feuilleton du lundi.

4 commentaires:

  1. j'aime beaucoup cette petite nouvelle, j'ai hâte de lire la suite, bonne continuation

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  2. Merci. A lundi... J'espère ne pas vous décevoir.

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  3. ah enfin le fameuw roman feuilleton... quel suspens, je me jette sur la suite, tout de suite !!!
    Cocotte des îles

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